Bruno Gollnisch ne peut que constater que le FN avait (encore) vu juste en prévenant des conséquences potentiellement catastrophiques de l’élimination du régime laïque de Saddam Hussein en 2003 par la coalition de l’Otan emmenée par les Etats-Unis. Plus de dix ans après, les faits parlent d’eux-mêmes: les attentats meurtriers sont quotidiens ; le chaos règne sur l’ensemble du territoire (dans une moindre mesure jusqu’à maintenant au Kurdistan irakien) ; les chrétiens d’Irak ont fui massivement le pays, le règne des clans et le conflit entre sunnites et chiites ont eu raison de l’avènement d’une démocratie qui était le but affiché par Washington, propagande en direction des naïfs pour légitimer sa guerre d’agression ; une dictature chiite (les chiites sont majoritaires en Irak) a succédé au pouvoir autoritaire des nationalistes du parti Baas…
Samedi, les insurgés sunnites regroupés sous la bannière de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) ont pris le contrôle d’un des trois postes-frontière avec la Syrie. Cette offensive éclair est la conséquence directe de la politique menée par le premier ministre irakien, le chiite al-Maliki , qui en écartant les sunnites du pouvoir a renforcé les rangs des djihadistes, contre lesquels une armée irakienne faible et certainement infiltrée n’oppose qu’une médiocre résistance.
Le Secrétaire d’Etat américain John Kerry était hier au Caire, d’où il a exhorté les dirigeants irakiens à constituer un gouvernement d’union nationale, à dépasser les fractures confessionnelles. L’idéologie de l’EIIL « est une menace non seulement pour l’Irak mais aussi pour la région tout entière » a-t-il déclaré avant d’affirmer, avec un culot qui laisse pantois, que l’Amérique n’était « pas responsable » de la situation en Irak !
Barack Obama a affirmé de son côté que son allié jordanien était aussi potentiellement menacé par l’offensive djihadiste, en omettant de préciser ce que tout le monde sait, à savoir que c’est un autre Etat « ami » de Washington, en l’occurrence l’Arabie Saoudite, qui soutient les combattants sunnites qui se battent en Irak et en Syrie…
Dans ce contexte, le président américain a annoncé l’envoi de « 300 conseillers militaires » à Bagdad, spécialisés dans la « lutte contre le terrorisme ». Pour autant, une implication massive des forces armées des Etats-Unis en Irak pour tenter d’ éradiquer l’EIIL apparaît inenvisageable. En tout premier lieu parce qu’ une large fraction des citoyens et les militaires américaines eux-mêmes y sont résolument hostiles. Le retrait des troupes yankees de ce pays était une des promesses de campagne du candidat Obama. Le « coût » humain et financier de la guerre en Irak pour les Etats-Unis parle de lui-même : 4500 morts au combat, des dizaines de milliers de blessés et de soldats souffrant de troubles psychologiques post-traumatiques et une facture de 3000 milliards de dollars .
Dans « l’Orient compliqué » les grilles de lecture simplistes ne sont pas de mise. Comme le rappelle très justement Pascal Nari dans l’Action française, si les djihadistes (environ vingt mille hommes) sont majoritairement islamistes, il y a aussi dans leurs rangs « de nombreux ex-militaires du régime bassiste de Saddam Hussein » , « les opérations sur le terrain semblent être menées par les officiers de l’armée de Saddam Hussein ». Combattent également des musulmans d’obédience sunnite, membres des « tribus », qui ne sont pas forcément « islamistes », « qui se sont soulevés contre le régime à dominance chiite de Bagdad installé par Washington »… et soutenu par (…) Téhéran ».
Quant aux armes lourdes (artillerie, chars, hélicoptères…) dont disposent les insurgés, elles proviennent de la débandade de l’armée officielle qui déserte sans combattre. Mais aussi en partie de la Libye « livrée au chaos par la chute de son ancien régime » voulue par l’Otan, notamment le trio infernal Juppé-BHL-Sarkozy, et « en grande partie des armes et munitions fournies par les Etats-Unis, la France et quelques autres aux insurgés syriens ».
« Etrange situation malgré toutes les mises en garde » note encore Pascal Nari, « l’Occident, prétendant armer les partisans de la démocratie en Syrie, a, de fait, mis en place une armée d’islamistes fanatisés qui s’insurgent maintenant contre ses propres intérêts et mettent les pays musulmans à feu et à sang, avant d’’attaquer, de l’intérieur, les pays de l’Europe occidentale et surtout la France . Si bien que désormais des émissaires de Washington et d’autres capitales occidentales prennent langue avec Damas, demandent son aide. Hier ils prétendaient renverser Bachar el-Assad et le traduire devant la justice internationale.Aujourd’hui on le courtise»…
Sans renversement de la situation militaire sur le terrain, l’Irak , pays créée de toute piéce par la France et la Grande-Bretagne au lendemain de la Première Guerre mondiale « en application du fameux accord Sykes-Picot de 1916 », se dirige vers l’implosion, la partition. « Les affrontements ont toutes le chances de continuer (…). Un nouveau foyer de tension extrême qui déstabilisera encore davantage la région, et aussi le marché pétrolier ». Il semble en effet « peu probable que le Premier ministre al-Maliki, marionnette corrompue aux méthodes dictatoriales, puisse former un gouvernement d’union nationalecomme le lui demande le secrétaire d’Etat John Kerry qui n’y croit sans doute pas lui-même».
Ce conflit qui ravage l’Irak, et plus largement les menées des combattants islamistes, sont là pour nous rappeler que l’objectif final des théoriciens du djihad est la poursuite du vieux rêve de l’installation du « califat », d’un gouvernement musulman mondial sunnite. Et que le concept même d’Etat nation, « invention » européenne, est considéré comme impie. Etat qui dans la forme moderne que nous lui connaissons ne peut fonctionner dans les pays arabes de cette région que quand il s’incarne par la domination, par la force ou l’adhésion populaire, d’un clan, d’une famille , d’une tribu, d’un groupe…
Les djihadistes ne reconnaissent que la validité de l’Oumma, la communauté des musulmans par essence transnationale, ce qui suppose d’abattre en premier lieu les rivaux chiites. Peut-on douter de la résolution des adeptes du djihad, concept de « guerre sainte » déjà analysé assez finement avant-guerre par Julius Evola dans « Révolte contre le monde moderne », laquelle suscite aussi l’incompréhension des opinions « hédonistes » et « décadentes » « occidentales »?
Citons ici Jacques Baud, colonel d’état-major dans l’armée suisse, analyste stratégique, spécialiste du renseignement et du terrorisme. Dans son ouvrage « Djihad, l’asymétrie entre fanatisme et incompréhension » (2009) il écrit qu’ « Il découle de la définition même duDjihad et de l’importance donnée à l’intention de l’action, une notion de la victoire fondamentalement différente que celle généralement comprise en Occident. Alors qu’en Occident la victoire est associée à la destruction de l’adversaire, dans l’Islam, elle est associée à la détermination à ne pas abandonner le combat. Nul ne peut vaincre un adversaire plus fort que lui, mais il est de son devoir de tenter de le faire. Ainsi, dans l’Islam,dans le Grand djihad comme dans le Petit djihad, c’est la même notion de la victoire : essentiellement une victoire sur soi-même, une victoire sur la facilité apparente et sur le découragement. La victoire reste donc associée à l’essentiel : le maintien de la foi ».
L’ère de la fin de l’histoire entérinée par le triomphe mondial de la démocratie marchandesous pavillon etats-uniens, promise avec la chute du Mur de Berlin par Fukuyama, n’est certainement pas pour demain…
http://gollnisch.com/2014/06/23/petite-guerre-sainte-grande-guerre-sainte/