Le député européen vient de publier un manifeste géopolitique réaliste qui ne manque pas de faire grincer quelques dents au sein du FN.
L'exposé de politique étrangère et d'orientations internationales très charpenté que le député européen FN Aymeric Chauprade a mis en ligne et diffusé au début du mois d'août a eu le mérite de faire bouger les lignes et surtout de proposer un débat intellectuel de fond au sein des milieux nationaux. Refusant l'immobilisme résultant d'une mauvaise lecture du rejet du droit d'ingérence, Chauprade trace les axes d'une logique interventionniste au service de l'intérêt de puissance français. Prenant acte du double problème posé en politique extérieure comme en politique intérieure par l'islam sunnite fondamentaliste, qu'il soit ou non le cache-sexe de réseaux terroristes ou relevant du banditisme, il propose de réviser en profondeur certains réflexes encore existants au sein du FN, concernant notamment les États-Unis et Israël.
Intérêt de puissance
Il ne peut y avoir deux ennemis principaux : c'est ce qui résulte de la méthode d'analyse politique du juriste Carl Schmitt, dont le but n'est pas tant de désigner un ennemi qui deviendrait vite un bouc émissaire mais bien de discriminer l'ennemi de l'ami. Israël et les États-Unis sont-ils aujourd'hui nos ennemis ? Non, répond en substance Chauprade. Ils se contentent, et c'est déjà beaucoup, de défendre leurs intérêts de puissance, ce que devrait faire la France et ce qu'elle ne fait pas. Les États-Unis et Israël nous désignent-ils comme des adversaires prioritaires ? Non, loin de là. Les islamistes à l'œuvre en Syrie et en Irak nous considèrent-ils comme des adversaires ? Oui, assurément. Bénéficient-ils de relais sur notre territoire ? Assez, pour que ces réseaux instituent la première des menaces aux yeux le nos services de renseignements. Puisque faire de la politique, en terme schmittien, c'est décider plutôt de palabrer, Chauprade a décidé d'appeler un chat un chat et un islamiste un ennemi irréductible de la France.
Réalité et équilibres
Aymeric Chauprade reste fidèle à la vision le la France, très maurrassienne et bainvilienne qui a toujours été la sienne : notre vieux pays capétien se doit d'équilibrer les empires pour subsister et prospérer. C'est la leçon de Kiel et Tanger et de l'Histoire de deux peuples. La réalité de la superpuissance américaine ne saurait voiler les atouts et le jeu des Russes et des Chinois qui contribuent à forger un monde multipolaire. Chauprade n'est pas devenu néo-conservateur, il demeure un pragmatique et un réaliste.
Attaquer au napalm les djihadistes du Proche-Orient aux côtés des Américains, car c'est bien cela que propose Chauprade, n'est pas offrir un blanc-seing à l'administration Obama. C'est servir nos intérêts en défendant les chrétiens d'Orient et en supprimant au passage quelques centaines de Français de papiers partis livrer une guerre sainte et devenus irrécupérables. Comprendre les impératifs de sécurité d'Israël, tout en souhaitant la création d'un Etat palestinien digne de ce nom (et qui ne serait pas livré aux islamistes), c'est éviter le piège de l'idéologie voire du complotisme le plus délirant.
Vouloir développer parallèlement le dialogue avec Moscou et Pékin est souhaitable et n'effraye pas des parlementaires aussi centristes qu'Yves Pozzo di Borgo, vice-président de la commission des Affaires étrangères du Sénat. Encore faut-il qu'un pays aussi puissant que la Russie améliore sa communication et sa stratégie d'influence dans notre pays, pour sortir des cercles confidentiels d'admirateurs quasi-hystériques de Vladimir Poutine. La Russie doit comprendre que le pays réel français est bien différent de sa vitrine légale. Quant à l'Iran, il faut se rappeler avant tout que l'antique Perse évolue depuis longtemps dans un rapport amour-haine avec les pays anglo-saxons, voire avec Israël. Les déclarations enflammées des mollahs sont contrebalancées par une relative prudence des dirigeants iraniens.
Poison totalitaire
Immédiatement, et c'était peut-être l'effet souhaité, les réseaux les plus compulsifs de l'extrême droite se sont mis en branle pour dénoncer ce qu'ils appellent un virage et ce que nous qualifierons d'intelligence stratégique. Les premiers à réagir ont été le groupuscule Egalité-réconciliation d'Alain Soral et l'ancien skinhead Serge Ayoub. Leur esthétique totalitaire leur interdit de penser la différence entre le poison totalitaire (qui est celui de l'Islam après avoir été celui du nazisme et du communisme) et les graves défauts du libéralisme. Le libéralisme n'est pas un totalitarisme et il ne le sera jamais, quels que soient les ravages économiques qu'il peut causer. On peut débattre avec les libéraux, il est impossible de composer longtemps avec des germes totalitaires. C'est pourquoi il est incroyable que la France poursuive ses relations privilégiées avec le Qatar ou l'Arabie Saoudite.
Pour nourrir leur paranoïa, nous leur rappellerons d'une part que l'hebdomadaire Minuteavait intelligemment analysé l'éviction de Chauprade de l'Ecole de Guerre comme une offensive atlantiste face à sa vision capétienne et gaullienne sous couvert d'un complotisme qu'il atoujours réfuté, et d'autre part que l'arrivée deChauprade sur la scène médiatique en 2001devait beaucoup aux louanges que lui adressaitle Figaro. Il n'y a donc pas de reniement deChauprade, il y ajuste une clarification des choses conforme à sa pensée profonde que sa vivacité naturelle et son dégoût de la médiocritéavaient peut-être contribué parfois à troubler.Nous n'en démordrons pas, cette déclarationestivale est un juste retour des choses.
Antoine Ciney Monde & Vie 9 septembre 2014