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De Saïgon à Konabé...

Au printemps 1975, je n’étais qu’un élève de 5ème qui donnait bien du souci à mes parents. Mais je lisais beaucoup, et je suivais l’actualité avec gourmandise, trouvant tous les matins, près du bol de chocolat et des tartines préparées par ma mère, le Ouest-France du jour et, le vendredi, le Paris-Match que mon père achetait à Poitiers avant que de reprendre le train pour Rennes, après ses journées de cours à l’université : c’est par ses deux journaux que j’ai découvert « l’histoire en direct » après celle d’hier et d’avant-hier que je parcourais en dévorant les collections de L’Illustration des années 1933 à 1944 rangées dans la bibliothèque familiale.

En ce printemps-là, je suivais la progression des troupes communistes du Vietnam du Nord qui, depuis l’hiver, semblait irrésistible. Mais j’avais l’espoir que, en définitive, l’histoire tournerait bien et que les « bons », c’est-à-dire les Sud-Vietnamiens l’emporteraient finalement, justement parce qu’ils étaient « les bons »... Naïveté d’enfant, sans doute, vite démentie par l’actualité du moment : j’apprenais, à cette occasion, que d’autres que moi considéraient les Nord-Vietnamiens communistes comme étant « les bons », ce qui me navrait et me laissait perplexe. C’est bien plus tard que je compris la complexité des engagements et la plasticité des arguments pour définir ceux qui étaient « les bons » et ceux qui étaient « les autres » ou « les mauvais » : en 1975, je n’en étais pas là ! Je sentais juste, sans doute aussi en écoutant les discussions familiales, que les communistes n’étaient guère rassurants et plutôt massacreurs...

Bientôt, Saïgon tomba aux mains des Nord-Vietnamiens : le communisme triomphait, et j’en éprouvais un grand désappointement parce que l’histoire se finissait mal, même si j’avais encore l’espoir d’une résistance qui renverserait, un jour, le cours des choses, comme je le lisais dans les livres du Colonel Rémy.

Aujourd’hui, c’est le sort de Konabé que je suis, jour après jour, dans la presse et sur les sites d’information : ce dimanche, cette ville kurde de Syrie à la frontière turque semble condamnée à subir le sort de Saïgon ou, pire encore, le sort de Varsovie en 1944, quand les Russes, à quelques kilomètres de la capitale polonaise, laissèrent les troupes allemandes écraser la résistance intérieure nationale avant que, une fois le « sale boulot » fait, de se décider à chasser les Allemands de l’endroit dévasté. Si les hommes de l’YPG (armée des Kurdes de Syrie) résistent encore, il semble néanmoins que les troupes de l’État Islamique (« Daech », comme l’appellent les autorités françaises) gagnent toujours du terrain, constamment renforcés par des renforts en hommes et en armes et cela malgré les quelques frappes des avions états-uniens qui apparaissent bien dérisoires et, plus grave, malhabiles au regard de leurs maigres résultats.

Mais qui se soucie de Konabé ? Qui se rappelle encore de Mossoul ou de Qaraqosh, et de leurs habitants chrétiens, yézidis ou chiites, aujourd’hui condamnés à un exil qui risque bien d’être définitif, après, pour certaines de ses communautés, plus de 2000 ans d’installation sur ces terres désormais dévastées et occupées par l’État islamique et ses drapeaux noirs ? Les manifestations de solidarité envers ces populations déplacées et menacées de mort n’intéressent guère les médias et la SNCF, à Rennes, n’a rien trouvé de mieux cette semaine que de déposer plainte après l’occupation de quelques minutes de la gare par des manifestants kurdes qui demandaient juste un peu d’attention de la part de l’Opinion publique et des autorités politiques de notre pays... La SNCF met pourtant beaucoup moins d’empressement à se plaindre quand ce sont ses propres personnels ou des étudiants « de gauche » qui descendent sur les voies et bloquent le trafic ! Mais qui se soucie de quelques Kurdes qui, là-bas, si loin, sont massacrés par des djihadistes décidés à établir pour longtemps le règne de leur califat sur les terres d’Orient ? [...]

La suite sur le blog de Jean-Philippe Chauvin

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