Zone de plus faible croissance au monde, économiquement non viable, mais maintenue au bord du gouffre par pure idéologie, la zone euro a-t-elle encore un avenir ? Le président de la Banque centrale européenne (BCE), le très mondialiste Mario Draghi, a exhorté vendredi les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro à un effort commun. « En 2011-12, nous avons évité l’effondrement de la zone euro grâce à un effort commun. Nous devrions à nouveau nous atteler à agir en commun pour éviter une rechute en récession ». Pendant ce temps, en marge du Conseil européen à Bruxelles, le Premier ministre britannique de David Cameron a tapé du poing sur la table…soucieux de ne pas donner davantage de grain à moudre au courant eurosceptique qui ne cesse de prendre de l’ampleur outre-manche. Sommé par la Commission européenne, au titre de la révision technique des contributions nationales pour 2014, de verser, avant le 1er décembre, une contribution supplémentaire pouvant atteindre 2,1 milliards d’euros, M. Cameron s’est fâché tout rouge.
Boursier.com le souligne avec justesse, «cette rallonge émane d’une révision technique statistique à laquelle procèdent chaque année les instances européennes. Cette fois, le calcul intègre à la richesse des pays les activités illicites comme le trafic de drogue et la prostitution.» On arrête pas le progrès… « Je ne paierai pas cette addition le 1er décembre » a affirmé David Cameron… qui n’ a donc pas dit qui ne la paierait pas après cette date…
Le même jour Pierre Lellouche, député UMP de Paris, faisait mine de s’indigner sur France Info de la subordination de notre pays aux instances bruxelloises. Evoquant la lettre envoyée par les gauleiters bruxellois demandant des « précisions » sur le budget 2015 de la France, il a déclaré qu’il est « très fort de café» que la Commission européenne veuille« retoquer le budget » qui relève de la « souveraineté nationale.»
Le site du magazine Politis a eu beau jeu de noter que « les textes (traité, directives et règlements) qui autorisent cette immixtion dans nos débats budgétaires ne datent pas tous du quinquennat de François Hollande. Et tous ont été approuvé par les députés, sénateurs et députés européens membres de l’UMP, avec l’aval de Nicolas Sarkozy quand celui-ci était à la tête de l’État. ll est extrêmement improbable que Pierre Lellouche l’ignore, lui qui fut secrétaire d’État aux Affaires européennes dans le gouvernement Fillon II, du 23 juin 2009 au 13 novembre 2010 ».
« On épargnera à Pierre Lellouche poursuit cet article le rappel des votes au Parlement européen des directives et règlements du Six pack et du Two pack , ainsi que celui de la ratification du TSCG, qu’il a approuvé comme député. Les élus de l’UMP, comme la plupart de nos socialistes, ont tout avalé. De la même manière qu’ils ont adoubé les deux Commissions de Barroso, dont il déplore aujourd’hui qu’elles aient été lamentables , après que Nicolas Sarkozy eut soutenu ce dernier pour un second mandat ».
Dans une UE sous domination et au service de intérêts de Berlin, nous nous en faisions l’écho sur ce blog en septembre dernier, le voyage de Manuel Valls a fait figure de symbole. Il est allé humblement quémander à Angela Merkel un délai supplémentaire pour notre déficit public et des encouragements pour les réformes en cours.
Nous n’allons pas reprocher à l’Allemagne de défendre ses intérêts mais il s’agit de regretter l’incapacité de nos gouvernements à défendre les nôtres, alors que la crainte d’une hégémonie allemande sur cette Europe là ne date pas d’hier. Le juriste et politologue Maurice Duverger, ancien du PPF, décoré de la Francisque mais rapidement rallié au «camp du bien», s’inquiétait déjà dans «Le lièvre libéral et la tortue européenne » (1990) d’une Europe «dominée par la Pangermanie régnant sur l’espace vital que lui avait assigné les théoriciens du XIXème siècle ».
D’autres, supputant une souterraine continuité géopolitique économique allemande, ont d’ailleurs rappelé que les origines véritables de l’idée de Communauté économique européenne (Die europaïsche Wirtschafsgemeinschaft) a été faussement attribuée à Jean Monnet,ses disciples et ses suiveurs, mais qu’on l’a doit en réalité à Walther Funk, ministre de l’Economie du IIIe Reich.
Au-delà de l’hégémonique omnipotence allemande c’est bien la question du déficit démocratique de l’UE qui est posée. Le site Polemia a mis en ligne un article de Arnaud Dotézac, directeur des rédactions, market magazine (Genève) qui la résume parfaitement.
« La souveraineté des États membres est aspirée au bénéfice des institutions européennes par l’effet de suprématie absolue du droit européen. Le principe de suprématie des constitutions nationales, qui traduit normalement l’expression la plus haute des souverainetés populaires, s’est depuis longtemps laissé dissoudre dans un droit conçu et contrôlé par des experts, eux-mêmes irresponsables politiquement et protégés diplomatiquement. Au peuple souverain se sont substitués des fonctionnaires qui produisent ce droit n’émanant que d’eux-mêmes, générant un modèle autocratique au sens propre du terme. Les valeurs qui sous-tendent le projet européen sont issues d’une idéologie qui méprisait le modèle démocratique et d’une puissance étrangère (les Etats-Unis, NDLR) qui défendait ses propres intérêts stratégiques (…)».
Comme le notait plus largement déjà Michel Rocard en 1973 (!) dans « Le Marché commun contre l’Europe », « ce que l’on a appelé la construction européenne s’est faite en réalité…contre l’Europe, au profit de la libre entreprise, au profit par conséquent du capitalisme en général, quelle que soit sa nationalité, et plus encore au profit de celui qui n’en a pas.»
Nous l’avons souvent dit, ce projet européen transnational, le FN s’y oppose au nom de sa défense de l’Etat nation, d’une Europe des patries, de la libre-coopération. Mais ledit projet impérial aurait pu puiser sa justification dans une vision enracinée de notre civilisation européenne, en s’abreuvant à la source de son génie propre, dans le respect et la défense de l’identité commune des peuples de notre continent.
Or pour ses concepteurs, l’idée de l’unification européenne ne constitue pas une fin en elle-même, le sommet d’une hiérarchie de valeurs et d’identités héritées de l’histoire des peuples du vieux continent, elle est plutôt une marche vers le gouvernement mondial de l’humanité. Dans ses « Mémoires », Jean Monnet rappelle que la «Communauté (européenne, NDLR) elle-même n’est qu’une étape vers les formes d’organisation de demain ». Son acolyte Robert Schumann expliquait dans « Penser l’Europe » (1963), que l’idée d’Europe doit être «le mot d’ordre pour les jeunes générations désireuses de servir l’humanité enfin affranchie de la haine et de la peur, et qui réapprend la fraternité chrétienne».
Maurice Duverger cité plus haut, ne masquait pas ce message humaniste sous le vernis de la fraternité chrétienne sans frontières mais nous donnait à son tour une définition de ce qu’est l’Europe et sa mission, à savoir un simple relais d’une conscience planétaire, qui est largement partagée actuellement par les élus de gauche et de droite qui dominent le Parlement européen, les officines et la technostructure européistes. «Il y a une civilisation européenne écrivait-il, qui a enseigné les droits de l’homme et de la démocratie, valeurs supérieures à toutes les autres, et qui doivent l’emporter sur les cultures encore rétives à leur universalité.»
Cette réduction de la civilisation européenne au totalitarisme des droits de l’homme va de pair avec une Europe qui subordonne le politique à l’économique, qui se construit sur la dépouille des Etats souverains. La dérive de cette Europe là avait été parfaitement anticipée par Julien Freund dans «La fin de la Renaissance» (1980) : « on s’en prend aux nationalismes, sources de guerres intra-européennes qui auraient été, durant ce siècle (le XXe siècle, NDLR), des guerres civiles européennes. Mais en réalité c’est l’Etat qui est visé dans sa substance.»
Au plus fort du débat sur l’adhésion de la Turquie dans l’UE il y a dix ans, le refus de réaffirmer les racines helléno-chrétiennes de l’Europe, d’en faire un «club chrétien» comme le notait pour s’en offusquer le premier ministre Turc Erdogan et chez nous la quasi totalité du microcosme politico-médiatique, répondait bien sûr à un objectif.
Bruno Gollnisch le soulignait alors, «si l’Europe se définit par l’adhésion à des valeurs communes laïques qui sont celles en gros de l’individualisme libéral et des droits de l’homme , alors effectivement à ce compte il n’y a pas de raison de ne pas l’étendre jusqu’au Zaïre le jour où ce pays pratiquera la démocratie parlementaire ! C’est là qu’on voit bien, sans déformation et sans exagération, que dans l’esprit de ces gens là, l’Europe n’est qu’une espèce de plate-forme commune qui a vocation à s’entendre de plus en plus, dans laquelle, à condition de respecter une règle sacrée qui est celle de l’ouverture et du métissage, n’importe quel pays pourrait finir par entrer ». Alors non, décidemment non, leur Europe n’est pas la notre.