A l’occasion de la publication du journal inédit de Philippe Muray, dont le magazine Causeur publie les bonnes feuilles, Elisabeth Lévy nous trace le portrait d’un écrivain prophétique.
Causeur publie en exclusivité les bonnes feuilles du journal inédit de Philippe Muray. La fidélité post-mortem, c’est unique, non ?
Si vous parlez de la fidélité de Muray, sachez qu’il n’était fidèle qu’à lui-même ! Non, ce n’est pas à sa fidélité que je dois ce privilège mais à celle d’Anne Sefrioui, sa compagne puis son épouse - et sa lectrice la plus exigeante - pendant trente ans. Et le long entretien qu’elle a accepté de nous donner, non sans difficulté car elle n’aime guère la lumière, est, avec les extraits, le plat de résistance de notre dossier. En effet, Anne est aussi l’éditrice du Journal, et elle s’acquitte de cette tâche avec une rigueur et une probité indiscutables : tout le contraire de la veuve de Jules Renard qui a détruit beaucoup de textes ! Quoi qu’il en soit, je vois dans ce magnifique cadeau un témoignage d’amitié, bien sûr, mais aussi de confiance : s’il y a un numéro de Causeur que je ne voulais pas rater, c’est bien celui-là. Et j’ose croire que, grâce à son aide, nous avons réussi. Cela dit, il y a une certaine logique, non seulement amicale, mais intellectuelle : malheureusement, Philippe est mort avant la création de Causeur, mais si je ne l’avais pas connu, Causeur n’aurait sans doute pas existé, tout simplement parce qu’il a considérablement influencé ma façon de penser et de voir le monde. Bref, Muray, c’est notre imam caché !
Il est vrai que ce numéro est très réussi, mais aussi un peu décalé. Muray a-t-il vraiment quelque chose à nous dire sur notre actualité ?
Bien plus que ce que vous croyez ! Tout d’abord, Muray est un écrivain qui nous éclaire sur tout ce qui constitue notre présent. Et ni l’islamisme, ni le djihadisme, ni le terrorisme ne sont nés hier. Il a beaucoup écrit après le 11 septembre. Mais bien sûr Muray n’était pas un expert pour plateau-télé et il s’intéressait beaucoup moins aux problèmes du monde musulman qu’à ce que ces problèmes disent de nous. Dans Chers Djihadistes…(Mille et Une nuits, 2002), s’adressant (par choix rhétorique) aux assassins du World Trade Center, il leur dit en substance : vous êtes des éléphants arrivant dans un magasin de porcelaine dont les propriétaires ont déjà tout saccagé. Autrement dit, l’Occident n’a pas besoin d’ennemis, il se détruit très bien tout seul en renonçant à l’héritage de la modernité. Ce renoncement est l’un des fils conducteurs de toute l’œuvre de Muray. Et je crois en effet que ce qui nous arrive aujourd’hui en dit autant, sinon plus, sur « nous » que sur « eux ». Alors j’espère simplement que, pour une fois, la réalité, démentira la sombre prédiction par laquelle se conclut le livre : « Nous vaincrons. Parce que nous sommes les plus morts. » [...]
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