Jean-Pierre Maugendre, militant catholique de toujours, est aujourd'hui président de l’association Renaissance catholique. Il exprime parfaitement les inquiétudes de beaucoup de catholiques face à une évolution économiste et matérialiste du programme du Front national.
Pourquoi avez-vous tenu à engager un débat en tant que catholique avec le Front national ?
La question de fond est de savoir si la crise que nous vivons est d'abord une crise économique et financière avec pour conséquence un chômage important ou surtout une crise de civilisation identitaire, culturelle voire spirituelle. L’actualité de ce sujet est, bien sûr, liée à l’ambition présidentielle de Marine Le Pen et aux résultats électoraux de son parti. Il est intéressant noter que Marion Maréchal, souvent présentée comme la représentante d'un courant catholique au sein du Front national, du fait de sa participation aux Manifs pour tous que sa tante avait préféré ignorer, affirmait récemment, à propos de Bruno Gollnisch : « Qu'on le veuille ou non, en termes d'image, il incarne le Front d'une certaine époque qui me semble révolue. » Qu'est-ce que l'Ancien Front ? Qu'est-ce que le Nouveau Front ? Au-delà d'une allusion générationnelle et une formule rhétorique, rien n'est très clair. S’agirait-il de jeter par dessus bord la référence à l’anthropologie chrétienne ? J'ai eu l'occasion récemment de rencontrer Marine Le Pen et de lui parler de l'évolution de son programme politique. Je crois que le moins que l'on puisse dire est que ce débat n'est pas facultatif. Dans l'ancien programme de 1993, les rédacteurs avaient utile onze fois le mot « civilisation » dans la seule introduction. Dans le nouveau texte on ne l'utilise pas une seule fois. Il n'y a plus que Madame Taubira qui emploie le terme de « changement de civilisation ». Et le Front national ?
Mais d’un point de vue électoral, que pèse ce combat « civilisationnel » ?
Du simple point de vue électoral, le mauvais report des voix de droite vers le Front national, que l'on a pu constater lors des élections départementales en particulier dans le Vaucluse, devrait susciter chez ses dirigeants une certaine inquiétude. En effet, de nombreux électeurs de l'UMP qui, sur beaucoup de sujets, seraient prêts à voter pour le Front national, en particulier en raison de ses positions sur l'identité nationale et l'immigration, dans les faits ne reportent pas leurs voix au deuxième tour sur le candidat FN, parce que le nouveau programme économique que défend Marine Le Pen, est considéré par beaucoup d'entre eux comme étatiste, voire socialisant.
Vous insistez particulièrement sur la pauvreté du nouveau programme en matière d’éducation…
C'est à propos de l'école en effet que l'on peut observer les propositions les plus surprenantes. « L'école est un service organique de la République » affirme le programme en insistant sur la « préparation à la citoyenneté », et « L’école de la République ». Il n'y a aucune remise en cause du fonctionnement du Ministère de l'Education nationale. Il n'est fait aucune mention d'une possible autonomie accordée aux directeurs d'école ni de la remise en question de la cogestion de l'enseignement par le tandem ministère-syndicats. Le programme de 93 affirmait une réelle volonté réformatrice qui allait jusqu'aux principes, il soutenait ainsi, par exemple, que « les familles sont maîtresses de l'éducation et de l'enseignement de leurs enfants » et proposait un chèque scolaire déductible des impôts pour aider les parents à mettre leurs enfants dans l'établissement de leur choix sans être pénalisés financièrement. Dans le nouveau programme, il n'est pas question de l'enseignement privé, qu'il soit sous contrat d'association avec l'Etat ou hors contrat, alors que ces établissements représentent 20 % des élèves. Et donc évidemment, il n'est plus question du chèque scolaire.
Et qu’en est-il des propositions concernant la famille ?
Partons simplement du vocabulaire employé : il préconise une politique nataliste à propos de la famille plutôt qu'une politique vraiment familiale. Dans le programme de 93 était proposée la mise en place immédiate d'un salaire parental égal au SMIC. Dans le nouveau programme ce salaire parental est égal à 80 % du salaire minimum et seulement : « lorsque les Finances le permettront. » Autant dire jamais... Il est clair que la politique familiale n'est plus une priorité. Ce nouveau programme affirme également que : « Notre déséquilibre démographique est provisoire ». Heureuse perspective dont on ignore les moyens préconisés pour qu'elle se réalise. De même il n'est pas prévu la remise en cause de la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Or les allocations ne sont familiales que dans la mesure où elles visent à faire en sorte que les familles qui ont des enfants ne soient pas financièrement pénalisées par rapport à celles qui ont les mêmes revenus mais qui n'ont pas d'enfants. Pourquoi ne pas proposer de revenir sur cette loi typiquement socialiste ?
Vous reprochez au nouveau programme d’être trop axé sur les questions économiques ?
Il y a une intuition qui est juste c'est la lutte nécessaire contre la Finance internationale. Mais la vraie réponse à la lutte contre la Finance internationale est de mire en sorte que la Finance soit soumise au Politique. Dans notre anthropologie chrétienne, l'homme n'est pas d'abord producteur ou consommateur, il est un héritier qui reçoit et transmet ce qu'il a reçu : ses biens matériels, mais surtout les biens immatériels que lui ont procurés des millénaires de civilisation. Les gens le sentent bien. Ils se sont mobilisés pour la défense du mariage naturel avec beaucoup plus d'ampleur qu'ils ne l'ont jamais fait pour le pouvoir d'achat. L'homme ne vit pas que de pain !
Que reprochez-vous au programme économique du Front national ?
Je voudrais poser une simple question en guise de réponse : par quel miracle la France serait-elle le seul pays d'Europe à pouvoir maintenir la retraite à 60 ans ?
Propos recueillis par l'abbé G. de Tanouarn
monde & vie 30 avril 2015