En dépit d'une stagnation du PIB au deuxième trimestre, "la reprise est bel et bien engagée", estime le gouvernement. Peut-on vraiment parier sur une croissance durable?
Le vocabulaire ne change pas, même si la réalité décrite n'a plus rien à voir. Ce vendredi matin sur France Inter, le ministre des Finances Michel Sapin insistait sur l'existence d'une reprise en France, en dépit de la stagnation du PIB au deuxième trimestre annoncée par l'Insee. Et de rappeler que la croissance de l'économie française a été de zéro ou presque aussi bien en 2012, 2013 que 2014. Alors, 1% de croissance -l'objectif pour l'ensemble de 2015-, ça n'a évidemment rien à voir....
Un maigre +1%
Sauf que ce maigre 1% ne colle pas à l'idée commune de ce que peut être une « reprise ». Quand l'économie « reprend », les chefs d'entreprise retrouvent des anticipations d'activité en nette hausse, la production de biens et services augmente significativement, tout comme l'emploi et la masse salariale. Or, que voit-on en France aujourd'hui ? Un PIB à l'arrêt au deuxième trimestre, l'absence de créations d'emplois stables -la hausse des effectifs au deuxième trimestre ne tient qu'à l'intérim, comme le relève l'Insee-, dans un contexte très incertain de l'avis même des chefs d'entreprise. Interrogés sur leurs propres perspectives de production, ils disent ne pas voir venir grand'chose.
La France s'appauvrit depuis 2007
La réalité, c'est que la France est en crise, qu'elle s'appauvrit depuis 2007, si l'on en juge par l'évolution du PIB par habitant. Il était de 31.507 euros en 2007 (euros de 2010), il était en dessous en 2014 (31.145 euros), estime l'Insee. Sept ans de stagnation de la richesse par habitant, du jamais vu depuis que les statistiques du PIB existent (la série commence en 1949). La « crise » des années 70 a tout d'une période florissante, en regard de la période actuelle. Le PIB par habitant a crû de 18% entre 1973 et 1980...
A entendre Michel Sapin, on en aurait fini avec cette période d'appauvrissement, la tendance espérée pour l'année prochaine serait de +1,5% pour le PIB. Outre que ce chiffre apparaît bien faible, si on le compare avec les périodes de reprise, au sens où on l'entend habituellement (à la fin des années 80 comme entre 1998 et 2000, la croissance dépassait les 3%), il n'est pas certain.
Un manque moteur
Car l'économie française, tout comme celle de la zone euro, manque singulièrement de moteur. L'investissement des entreprises reste plat, ce qui n'a rien d'étonnant au vu des faibles perspectives d'activité affichées par les chefs d'entreprise, qui n'ont aucune envie de se livrer à des paris hasardeux sur une hypothétique croissance de leur chiffre d'affaires. La consommation, « ralentit fortement » (c'est l'expression utilisée par les experts de l'Insee pour le deuxième trimestre), tandis que l'investissement des ménages (en logement, principalement) diminue constamment. Seules les exportations s'inscrivent en nette hausse depuis le début de l'année (+1,7% au deuxième trimestre), mais les importations augmentent tout aussi vivement, de sorte que la contribution du commerce extérieur à la croissance pourrait être négative.
L'industrie laminée par la crise
Surtout, l'industrie, qui a toujours joué un rôle moteur dans les reprises économiques, a été laminée par la crise. L'exemple le plus frappant : la production automobile en France est aujourd'hui inférieure de 41% par rapport son pic, atteint en novembre 2004. Peu d'usines ont été fermées, car l'opération est politiquement délicate. Mais combien de sites ont pris l'allure de vaisseaux à l'abandon, vides de toute activité ? Comment imaginer aujourd'hui une véritable reprise sur la base d'une industrie aussi anémiée ?
Dès lors, affirmer comme le fait Michel Sapin dans Le Monde que la « reprise est bel et bien engagée » tient pour une bonne part du « wishfullthinking ». De même, affirmer que la légère croissance atteinte cette année sera le fruit de la politique économique menée par ce gouvernement est de bonne guerre, mais qui en sera convaincu ? Les marges des entreprises se redressent, sous l'effet du Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), financé pour moitié par des prélèvements obligatoires sur les ménages, mais où est l'investissement attendu, qui serait générateur d'emplois ?
Une politique budgétaire moins rigoureuse, mais...
Considérée globalement, la politique budgétaire de la France n'est marquée du sceau de la rigueur. Les baisses d'impôts accordées aux entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité compensent les coupes dans les dépenses (notamment du côté des collectivités locales). La question, posée par les députés socialistes, est celle de l'équilibre de cette politique. Ne faut-il pas accorder moins d'allègements fiscaux aux entreprises, et plus aux ménages, afin de relancer leur consommation et leurs investissements ? Michel Sapin insiste sur le maintien de la politique actuelle. « Le CICE doit donc continuer à monter en charge, il est désormais bien identifié des chefs d'entreprise » écrit-il dans Le Monde. « Le Pacte de responsabilité et de solidarité doit aussi être déployé dans l'enveloppe budgétaire prévue. » Une fin de non-recevoir polie mais ferme adressée au parti soutenant le gouvernement...
source : La Tribune :: lien
http://www.voxnr.com/cc/tribune_libre/EuFAypVyyFLgyeNDAg.shtml