A l'occasion de la sortie de son dernier livre, A demain Gramsci, Gaël Brustier a accordé un long entretien à FigaroVox. Extrait :
"[...] La gauche a longtemps gagné dans les urnes pendant que la droite gagnait dans les têtes. Aujourd'hui, l'urgence pour la gauche semble de survivre aux périls politiques et électoraux qui s'annoncent… car cette fois, si les droites l'emportent, le terrain des luttes sera considérablement modifié, au bénéfice durable de ces dernières. L'époque du mouvement de balancier est révolue. [...]
Les «néoconservateurs» français, dont la vulgate est désormais devenue la plus courante à Paris, se sont organisés après les grands rassemblements de 2003 contre la Guerre en Irak. Beaucoup viennent de la gauche, agissent d'ailleurs au sein ou auprès des partis de gauche. Ils ont construit un adversaire: «l'islamo-gauchiste», dont l'existence s'inspire d'une forme de naïveté souvent rencontrée d'une partie de l'extrême gauche vis-à-vis du fondamentalisme islamique mais dont l'influence est extrêmement faible, y compris sur la gauche radicale et ne justifie pas qu'on l'érige en problème principal de la société française. Chemin faisant, ils ont utilisé davantage les mots de la République… souvent contre les idéaux de la République.
Le conservatisme «LMPT», de la nouvelle génération, est un conservatisme philosophique au sens le plus classique du terme, qui n'est en rien «néo», qui ne part pas des mêmes postulats que les «néoconservateurs». Ces (jeunes) conservateurs parent leur conservatisme «d'écologie», de «décroissance» ou de préoccupations sociales, ce qui n'est absolument pas étonnant de la part de conservateurs cohérents et brouillent un peu les pistes idéologiquement, ce qui est de bonne guerre. Utiliser le terme «conservateur» n'est en rien dépréciatif, soit dit en passant.
Il est cependant intéressant de considérer les deux comme des réponses idéologiques à la crise actuelle...
La gauche a perdu la bataille des idées. Cela signifie-t-il pour autant que la droite l'a gagnée?
La droite française n'a jamais vraiment cru aux idées. C'est le grand paradoxe de sa victoire: elle n'a pas cru aux idées et tire parti d'un univers de représentations, d'une vision du monde qui doit beaucoup à l'effacement de la gauche. L'idée que nous vivons un «déclin» civilisationnel est centrale dans la percée des idées droitières, dans leur vaste gamme d'ailleurs. [...]
La droite française n'est pas idéologique, c'est un fait. Hormis le travail réalisé avant 2007 par l'équipe de Nicolas Sarkozy, on ne distingue guère de travail idéologique d'ampleur à droite. Peu idéologique la droite française donc… mais constatons que le FN ne l'est guère plus qu'elle désormais, maintenant que les Le Gallou, Mégret et autres anciens du Club de l'Horloge vivent à ses marges.
En revanche, droites et droites extrêmes captent un univers d'images et de symboles à son profit: la rhétorique «républicaine» de l'ex-UMP est symptomatique. Dans le contexte actuel, la droite n'a pas à faire beaucoup d'efforts pour tirer parti et bénéfice d'un univers d'images et de représentations qu'elle ne contribue - dans sa version partisane - que partiellement à organiser. [...]"