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La Lettre d’Allemagne N°15

Autriche : Les leçons du deuxième tour

Ce lundi 23 mai, c’est donc d’un cheveu que Norbert Hofer a échoué aux portes de la Hofburg. Si la déception de ses partisans était palpable, il était difficile de trouver, chez ceux de son adversaire, la moindre trace de joie triomphante et d’exubérance.

Cette modération dans la victoire, cette commune sobriété des deux camps pourrait surprendre, en particulier en France où l’on fait profession de comprendre les situations politiques étrangères après leur avoir appliqué une grille de lecture passablement manichéenne et très franchouillarde.

Il est en fait très douteux que l’Autriche se soit réellement fait peur lors de ce deuxième tour, comme il est parfaitement improbable que l’on eût assisté à des manifestations monstres de vaillants défenseurs de la Liberté et des Droits de l’homme si Hofer l’avait emporté, n’en déplaise à nos modernes frères-prêcheurs. La réalité, c’est qu’à la déception, certaine mais relative, d’un camp, qui a montré au premier tour sa capacité à susciter l’adhésion – dans l’ensemble constitué par les suffrages en faveur du FPÖ, le vote de conviction peut désormais être considéré comme majoritaire – sans réussir, pour cette fois, à remporter l’élection, répond en écho une coalition hétéroclite ayant pour seul dénominateur commun la volonté de faire barrage aux Libéraux, dépourvue de vision politique – si tant est que le président de la République alpine ait la moindre vision à incarner, une simple accumulation de votes par défaut.

Parmi ces votes par défaut, il faut évidemment accorder une attention particulière à ceux qui se sont exprimés par correspondance, les fameux « Briefwähler ». Dimanche soir, déjà, la perspective d’une victoire de Hofer s’était éloignée, ce que les observateurs avertis ne manquaient pas de signaler. Qui sont donc ces électeurs, qui ont choisi de s’exprimer par voie postale ? La loi électorale autrichienne ne met en réalité aucune restriction à cette pratique. Aucune justification n’est requise pour user de cette facilité. Bien plus, chaque électeur reçoit par la poste, avant l’élection, avec les bulletins et programmes ou tracts de campagne des candidats en présence, les documents nécessaires pour le faire. Libre à ceux qui le souhaitent d’opter pour ce moyen d’accomplir son devoir électoral. Seuls les Autrichiens résidant à l’étranger sont tenus d’utiliser cette procédure. Dans la pratique, ce sont donc principalement les électeurs peu ou pas mobiles qui en ont usé – pensionnaires des maisons de retraite et autres personnes âgées ou handicapées – et… les électeurs les plus mobiles, c’est-à-dire ceux qui possèdent une résidence secondaire, et passent leurs week-ends à la campagne.

On pourra gloser à l’infini sur cette courte victoire du candidat écologiste, et sur le rôle du vote par correspondance, auquel on reproche principalement sa faible résistance aux manipulations. Il faudra se souvenir que les tricheries électorales et les bourrages d’urne ne sont pas une spécialité autrichienne, quoi qu’aient pu raconter certains après la guerre. La manière, sereine, dont le candidat du FPÖ a accueilli le résultat, devrait suffire à le confirmer.

En revanche, le taux de participation, autour de 70%, en très forte hausse par rapport à l’élection de 2010 – +15% : cette élection, sans enjeu, avait été marquée par un effondrement de la participation après 40 années de baisse régulière – montre tout juste un retour à l’étiage de 2004 ; il n’y a pas eu de mobilisation contre la « peste brune ». Parallèlement, il est vraisemblable que nombre d’électeurs des classes bourgeoises conservatrices, orphelins de leur candidat de l’ÖVP, aient préféré s’abstenir plutôt que d’aller glisser dans l’urne un bulletin pour Hofer, même en se bouchant le nez. Enfin, la démission du chancelier Werner Faymann deux semaines avant le deuxième tour, et surtout son remplacement par Christian Kern, issu du sérail du SPÖ, président des Chemins de Fer autrichiens, sans mandat électif mais jouissant d’une bonne réputation de gestionnaire innovant – toutes choses étant égales par ailleurs, une sorte de Macron autrichien – a pu convaincre les électeurs modérés que les vieux partis de gouvernement avaient encore de la ressource, et qu’il convenait, cette fois encore, de préférer le prévisible van der Bellen.

S’il faut donc tirer quelques leçons, voire enfoncer quelques portes ouvertes après cette élection, la première est certainement que personne, en Autriche, n’a véritablement senti le sang, la poudre ou le vent du boulet. C’est sans doute en prenant connaissance des relations qu’en faisaient les médias et journaux étrangers que les citoyens les plus éclairés de la République alpine ont pris conscience du caractère pré-apocalyptique de leur situation…

La deuxième leçon est que le FPÖ est aujourd’hui, sans conteste, le 1er parti autrichien. Avec plus de 35% au 1er tour de l’élection, il peut envisager sereinement la prochaine élection au Nationalrat, le parlement autrichien, en 2018. Le président Alexander van der Bellen devrait, selon toute vraisemblance, avoir l’immense plaisir d’inviter Heinz-Christian Strache à former un gouvernement. La question épineuse du moment sera celle du partenaire de coalition. Une fois tranchée, et quel qu’en soit le résultat – il y aura, selon toute vraisemblance, un « junior partner » –, on pourra se réjouir sans retenue de la perplexité mêlée de dégoût qui devrait assombrir les visages des autres chefs de gouvernement d’Europe occidentale.

La troisième leçon est une confirmation, celle que le FPÖ est devenu le 1er parti ouvrier autrichien, raflant plus de 85% de ce potentiel électoral. Il obtient ce résultat, le fait mérite encore une fois d’être souligné, sans rien renier de son programme national-conservateur, axé sur la défense des artisans et des petits entrepreneurs. En revanche, il est à la peine dans les couches plus aisées de la population, y compris les plus conservatrices, comme le montrent ses résultats en demi-teintes dans les Länder de l’Ouest, plutôt acquis à l’ÖVP. Strache, s’il veut y asseoir son parti, va devoir partir à la recherche de ces « cœurs nobles », chez qui, selon Ernst Jünger (Sur les falaises de marbre), « la souffrance du peuple trouve son écho le plus puissant ».

François Stecher, 26/05/2016

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