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Pour briser le dogme des droits de l’homme ! par Thierry DUROLLE

Dogme moderne a priori indépassable auquel la révérence est de mise, les Droits de l’Homme sont invoqués à tout bout de champ, notamment pour recadrer celles et ceux qui s’aventureraient hors des limites de la bienséance actuelle et du politiquement correcte. Comment une idéologie que l’on nous présente comme louable s’est-elle in fine retournée contre nous ? En effet, il suffit par exemple de critiquer l’invasion migratoire des soi-disant « réfugiés » pour recevoir en pleine face la sempiternelle réponse: « Et les Droits de l’Homme dans tout ça ? ». Le plus ironique est que, selon la  réponse – en l’occurrence la mauvaise – vous serez illico presto exclu de la dite Humanité… Bref, comprendre ces fameux Droits de l’Homme (que nous abrégerons en « DdH » par la suite) s’impose de toute évidence. Paru initialement en 2004,  Au-delà des droits de l’homme. Pour défendre les libertés d’Alain de Benoist s’attelle à disséquer ces derniers. L’ouvrage, augmenté d’une postface sur le libéralisme, est maintenant réédité aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.

Pour Alain de Benoist au commencement des DdH était l’opposition entre objectivité et subjectivité. Selon lui « la tradition européenne a toujours affirmé la nécessité pour l’homme de lutter contre sa seul subjectivité. À l’inverse, toute l’histoire de la modernité, dit Heidegger, est l’histoire du déploiement de la métaphysique de la subjectivité ». La basculement d’un critérium objectif, c’est-à-dire qui nous dépasse, qui nous est supérieur, vers un critérium subjectif, c’est-à-dire anthropocentriste, « conduit obligatoirement au relativisme (tout se vaut), rejoignant ainsi la conclusion égalitaire de l’universalisme (tous se valent) ». Aussi « le relativisme ne peut-être surmonté que par l’arbitraire du moi (ou du nous) : mon point de vue doit prévaloir au seul motif qu’il est le mien (ou qu’il est le nôtre) ». Le tandem Universalisme/Subjectivisme des DdH agit de sorte que la personne est définie hors de son cadre d’appartenance (famille, culture, hiérarchie, etc.) et devient ainsi un individu dans l’Universel dont les droits seraient envisagés comme « des attributs subjectifs du seul individu ».

D’un point de vue historique les DdH émergent tel que nous les connaissons à la fin du XVIIIe siècle, en 1776 aux États-Unis d’Amérique et en 1789 en France, mais ils ne constituent pas encore un « rôle essentiel dans le discours publique ». Ce changement va s’opérer dans les années soixante-dix avec la critique des régimes totalitaires (principalement communistes à l’époque) mais également avec l’essor du néo-libéralisme. Toujours d’un point de vue international, les DdH sont en outre synonyme du « retour de l’idée de « guerre juste » et la mise en place d’institutions judiciaires supra-nationales » même si, dans les faits, ils servent bien souvent d’alibi à la violation du droit international, à l’ingérence militaire et/ou humanitaire et au mépris de la souveraineté des États. Au sein des sociétés occidentales les DdH accompagnent les revendications sociétales (cf. l’homoconjugualité et l’homoparentalité), la désintégration du clivage gauche/droite et l’individualisation de la société. En fin de compte les DdH sont, volens nolens, du pain béni pour le système libérale-libertaire : « Intrinsèquement lié à l’expansion des marchés, le discours des droits de l’homme constitue de nos jours l’armature idéologique de la globalisation, écrit Alain de Benoist. Il est avant tout un instrument de domination, et doit être regardé comme tel. »

Pour aller plus loin dans la compréhension des DdH, il paraît inévitable de savoir de quels hommes et de quels droits l’on parle. « L’idéologie des droits de l’homme proclame ainsi que l’homme non politique et non social est l’homme « naturel » – et même que c’est en tant qu’il échappe au social qu’il doit être comme naturel. » Cette conception de l’homme-atome, autrement dit de l’individu, a pour effet notoire la « non-reconnaissance absolue du fait que les hommes ainsi définis, dénués de qualités, deviennent fondamentalement interchangeables ». Cette dernière qualité semble indispensable quant à la constitution du producteur-consommateur dont le néo-libéralisme se sert comme main d’œuvre, de l’expansion du libre-échange et de la société marchande en générale. D’ailleurs Alain de Benoist ne s’y trompe pas et de citer à plusieurs reprises Karl Marx qui fut extrêmement critique des DdH en tant qu’idéologie bourgeoise : « Cet être séparé, cette monade pour qui la société n’est qu’une limitation de son indépendance originelle […] n’est autre que l’homme tel que le conçoit l’idéologie libérale bourgeoise. » Alain de Benoist note que « l’argument central de Marx est que, sur la base des droits de l’homme, on ne peut faire aucune objection au rapport marchand comme libre contrat entre libres propriétaires égaux devant la loi. Celui qui vend sa force de travail et celui qui l’achète ont les mêmes droits […]. L’idéologie des droits de l’homme, selon une formule bien connue, accorde les mêmes droits au loup et au mouton, au renard et au poulailler ». Justement, en parlant de « droit », l’auteur sur la conception traditionnel de celui-ci : « À l’origine, le droit se définit nullement comme un ensemble règles et de normes de conduite (qui relèvent de la morale), mais comme une discipline visant à déterminer les meilleurs moyens d’instaurer l’équité au sein d’une relation », si bien que « dans cette conception du droit naturel classique, il n’y a place ni pour l’universalisme, ni pour le subjectivisme ni pour le contructualisme. Un droit subjectif, un droit qui serait une propriété de la personne en dehors de toute vie sociale est impensable ». Mais tout cela va changer avec l’essor du christianisme qui « proclame en effet la valeur unique de chaque être humain en la posant comme une valeur en soi » et qui « donne une définition purement individuelle de la liberté, dont il fait la faculté, pour être doué de raison, de  choisir conformément à la morale entre les moyens qui conduisent à une fin ». « Le droit cesse d’être conçu comme une relation d’équité et devient la reconnaissance sociale du pouvoir (potestas) de l’individu » pour ensuite, sous l’influence de la Scolastique espagnole, se teinter de morale : « L’individu, note Michel Villey, lui-même cité par l’auteur, devient le centre, et l’origine, de l’univers juridique. » C’est ici ce qui sépare ontologiquement le droit naturel classique, de nature « cosmologique » et de fait, objectif, du droit naturel moderne où le sujet est mesure de toute chose; « le droit n’a plus été pensé à partir de la loi divine, mais à partir de la seule nature humaine caractérisée par la raison. Révolution à la fois philosophique et méthodologique, qui va avoir des prolongements politiques d ’une ampleur considérable ». Ainsi « le droit est désormais une propriété individuelle, une qualité inhérente au sujet, une faculté morale qui donne des permissions et autorise à exiger »; par conséquent « l’État et la loi elle-même ne sont plus que des outils destinés à garantir les droits individuels et à servir les intentions des contractants ».

Alain de Benoist, farouche opposant à l’idéologie du Même, en vient naturellement à questionner la compatibilité des DdH et de la diversité des cultures : « On est en fait au cœur d’un vieux débat portant sur l’un et le multiple, l’universel et le singulier, le Même et l’Autre, etc. ». Nous l’avons vu, les DdH sont une idéologie universelle car « valable en tous temps et tous lieux ». Dans ce cas, « comment comprendre que le caractère universel des droits ne soit apparu comme une « évidence » que dans une société particulière ? » Du coup, la notion même d’universalité devient problématique et c’est à juste titre l’une des critiques émises à l’encontre des DdH. D’autre part, qui aurait la légitimité et l’autorité (sans parler de la nature de celle-ci) pour décider de la bonne application de ces fameux droits urbi et orbi ? Étant donné que « la notion des droits de l’homme est purement occidentale, son universalisation à l’échelle planétaire représente de toute évidence une imposition du dehors, une manière détournée de convertir et de dominer, c’est-à-dire une continuation du syndrome colonial ». Difficile de ne pas voir dans les DdH une version sécularisée du christianisme. Mais là où ce dernier fut forcé à la compromission avec les théogonies et les coutumes locales pour s’imposer à divers endroits du globe (l’Europe en étant le parfait exemple), les DdH, quant à eux, vont nettement plus loin et son de toute manière, un pas de géant dans l’involution des civilisations, notamment la nôtre. Ce processus engendre parallèlement une uniformité basé sur des conceptions abstraites et « universelles » de la notion d’Homme et surtout de droits qui sont tout sauf propice à une diversité des cultures… 

Enfin, les DdH sont examinés en rapport avec les questions de libertés, de politique et de démocratie. Et une fois de plus l’auteur ne trouve pas grand-chose de positif : « L’idéologie des droits de l’homme n’a empêché, par exemple, ni la domination des peuples par des élites mondialisées, ni le conditionnement publicitaire, ni l’instauration d’une société de surveillance et de contrôle tous azimuts. » L’individu, étant dorénavant émancipé et attribué de droits soi-disant universels, est libre d’être entièrement soumis à lui-même et à ses désirs, chose qui arrange bien les publicitaires et, en général, les chantres de la société marchande. Une autre dérive causé par les DdH est « l’extraordinaire montée en puissance de la sphère juridique, désormais perçue comme capable par elle-même de réguler la vie politique et de pacifier la vie sociale. […] Se dessine alors un océan procédural où les avocats et les juristes se retrouvent chargés de réguler, avec un bonheur inégal, la nouvelle lutte de tous contre tous. Et le discours des droits enfle encore avec l’internationalisation des litiges liés à l’extension des échanges commerciaux et des risques globaux ». Effectivement, il est clair que « le droit international issu de l’ordre westphalien (1648) est aujourd’hui pareillement bouleversé par l’idéologie des droits de l’homme, qui justifie le droit (ou le devoir) « d’ingérence humanitaire », c’est-à-dire la guerre préventive, naguère régulièrement assimilée à la guerre d’agression ». Il en résulte que « les nations et les peuples ne sont plus libre de mener la politique qu’ils veulent » et « qu’aussi longtemps qu’il n’existe pas de gouvernement mondial, le droit d’ingérence humanitaire ne peu être qu’un simulacre de droit ». Que cela soit à l’échelle de l’État-nation ou à l’échelle internationale, les bouleversements juridiques et politiques engendrés par les DdH sont incontestables. « La proclamation des droits revêt dès l’origine un sens antipolitique. Comme le remarque Carl Schmitt, elle signifie que « la sphère des libertés de l’individu est en principe illimitée, tandis que celle des pouvoirs de l’État est par principe limité ». Parallèlement, la théorie des droits de l’homme crée une nouveauté radicale : une liberté indépendante de toute participation aux affaires politiques, idée qui aurait été considérée dans l’Antiquité « comme absurde, immorale et indigne d’un homme libre (Carl Schmitt) ». » Ainsi les DdH contribuent à l’effacement du politique, ce qui arrange et s’accorde aussi avec la société marchande et le libéralisme. Parmi les concepts, les principes invoqués et récités ad nauseam tel des mantras, au côtés des DdH l’on retrouve le plus souvent l’idée de démocratie. Pourtant les deux ne sont si compatible que ça. Déjà le premier officie, en tant que doctrine, sur le terrain de la morale puis du juridique alors que la démocratie est quant à elle une doctrine politique; mais surtout leurs sujets respectifs, à savoir l’individu et le citoyen ne sont pas sujet du même droit : « La théorie des droits de l’homme donne indistinctement le droit de vote à tous hommes en tant qu’ils sont des hommes (« un homme, une voix »). La démocratie donne le droit de vote à tous les citoyens, mais le refuse aux non-citoyens. Les droits démocratiques du citoyen, écrit Carl Schmitt, ne présupposent pas l’individu humain libre dans l’état extra-étatique de « liberté », mais le citoyen vivant dans l’État. […] Ils ont de ce fait un caractère essentiellement politique. » Dès lors s’opposer au vote des étrangers lors d’élections locales par exemple devient un affront aux DdH, y compris si la majorité du peuple est en désaccord vis-à-vis d’un tel projet de loi; puis de toute façon « les votes démocratiques n’allant pas dans le sens des droits de l’homme sont donc immédiatement rejetés comme « irrationnels » et illégitimes ». « Le discours des droits de l’homme se donne d’emblée comme certitude morale, comme vérité universelle, censée s’imposer partout du seul fait de son universalité. Sa valeur ne dépend donc pas d’une ratification démocratique. Mieux encore, il peut s’y opposer. »

Réquisitoire parfaitement argumenté et documenté par un panel de critiques allant des auteurs de la Contre-Révolution ou même Karl Marx, Au-delà des droits de l’homme. Pour défendre les libertés est une lecture obligatoire pour le lecteur désirant étoffer son argumentaire DdH. La postface n’apporte pas vraiment un plus et le lecteur bien au fait des articles du directeur de Krisis et de Nouvelle École est sans doute déjà coutumier du discours de l’auteur sur le libéralisme. En tout cas cette roborative lecture est à conseiller à tous les ennemis du Même et surtout aux militants identitaires de tous poils !

Thierry Durolle

• Alain de Benoist, Au-delà des droits de l’homme. Pour défendre les libertés, Éditions Pierre-Guillaume de Roux (41, rue de Richelieu, F – 75001 Paris), 185 p., 2016, 19 €.

• Nouveau collaborateur régulier à Europe Maxima, Thierry Durolle vient aussi de participer au prochain numéro (juin – juillet 2016) de Réfléchir & Agir.

http://www.europemaxima.com/

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