Encore un résultat que les sondeurs n’ont pas vu venir, dont il n’ont pas su en tout cas mesurer l’ampleur. Avec plus de 44% des voix au premier tour de la primaire de la droite et du centre, François Fillon écrase la concurrence, prend une solide option sur le second tour devant un Alain Juppé-candidat-chouchou-des-médias assommé (28,6%) et un Nicolas Sarkozy sèchement éliminé ( 20,6%), renvoyé à ses chères conférences au Qatar. Les autres candidats n’ont fait que de la figuration : environ 2,5% de suffrages pour Bruno Lemaire et NKM, 1,5% pour Jean-Frédéric Poisson, 0,3% pour Jean-François Copé. Les gaullistes, les politologues, les Français ayant un brin de mémoire le savent parfaitement, rien n’est plus étranger à notre régime présidentiel, un des rares en Europe, rien de moins conforme à l’esprit de la Ve République, telle qu’elle a été souhaitée par De Gaulle adversaire du régime des partis, que le principe même d’une primaire. Depuis la première primaire ouverte organisée par le PS , idée géniale de gauche reprise comme souvent par la droite, l’élection présidentielle n’est plus la rencontre entre un candidat élu au suffrage universel et la nation. Avec la primaire ou seule une partie de l’électorat se déplace, nous assistons à un court-circuitage du premier tour de l’élection présidentielle qui avait valeur de primaire nationale.
Environ 4 millions de nos compatriotes, sur les 44 millions d’électeurs français, se sont déplacés hier pour choisir le champion de la droite libérale. Les enquêtes indiquent aussi qu’à peu près 15% des votants à cette primaire - peu ou prou 600 000 électeurs - étaient des gens de gauche. Persuadés de l’élimination du candidat socialiste dés la premier tour de la présidentielle, ils sont venus principalement pour éliminer Nicolas Sarkozy en votant très majoritairement pour Juppé, et choisir le candidat qui aurait à leurs yeux le plus de chance de l’emporter contre Marine Le Pen au second.
Soutenu par les nombreux adversaires de Nicolas Sarkozy, les adhérents-sympathisants de droite les plus européistes et immigrationnistes, le ventre mou du centrisme, Ali Juppé comme le surnomme beaucoup de ses adversaires sarkozystes sur les réseaux sociaux, espérait bénéficier de ce rejet anti-Sarko. Le résultat de ce dimanche fut aussi un référendum anti-Juppé pour le peuple de droite, ne se reconnaissant pas dans ce candidat des élites médiatiques et bien-pensantes.
Capitalisant sur le double rejet de MM. Juppé et Sarkozy, M Fillon a réussi à apparaître comme un homme neuf, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour un politicien qui fut élu député pour la première fois en 1981 et ministre sous le gouvernement Balladur en 1993. Il n’est surtout pas neutre que ce soit le candidat de droite le plus libéral, le plus transgressif sur le plan économique, qui soit le grand vainqueur de ce premier tour des primaires.
François Fillon, crédité d’avoir dit la vérité avec sa fameuse sortie sur notre Etat en Faillite, commença séguiniste, gaulliste social. Il apparaît plus circonspect sur les bienfaits de la mondialisation qu’un Juppé, mais clame aujourd’hui son admiration pour Margaret Thatcher… à un moment ou les peuples réclament plus de protections face à la violence de l’ultra libéralisme mondialiste - on l’a vu avec le Brexit et l’élection de M. Trump. Mais il est aussi plus en phase avec les valeurs de la droite traditionnelle, majoritaires chez les électeurs, obtenant notamment, alors même qu’il ne remet pas en cause le mariage pour tous, le soutien de Sens commun. Son langage de fermeté face à l’islamisme, sa volonté d’un rapprochement avec la Russie de Poutine, son pragmatisme au sujet du régime de Bachar el-Assad, bouclier des chrétiens syriens, rempart contre le djihadisme, ont aussi contribué à lui forger une image d’homme sensé et responsable chez les adhérents de son parti.
Si Alain Juppé clamait ces derniers mois qu’il était le meilleur rempart contre un Nicolas Sarkozy accusé de complaisances coupables vis-à- vis du programme identitaire et sécuritaire du FN, M. Sarkozy lui répétait à qui voulait l’entendre qu’il était le meilleur rempart contre l’élection de Marine Le Pen. L’ex chef de l’Etat a redit hier soir dans son allocution actant sa retraite de la vie politique (?) et son soutien au second tour pour Fillon, son hostilité contre l’opposition nationale. Il a exhorté les électeurs à « ne pas emprunter la voix des extrêmes», «le chemin du pire». Même son de cloche d’un Juppé qui entend a-t-il dit, «rassembler contre le FN qui nous entraînerait vers la pire des aventures».
François Fillon, constate Bruno Gollnisch, n’a jamais manifesté dans le passé de fortes préoccupations sur l’atomisation communautaire de notre pays, ne s’est jamais vraiment opposé à l’immigration de peuplement, nos abandons de souveraineté à l’hydre bruxellois ou à l’Otan; il reste lui aussi un adversaire résolu du FN. L’année dernière, comme c’est original, il pronostiquait sur France Inter une guerre civile si les nationaux et autres patriotes souverainistes arrivaient au pouvoir. Il appelait de ses vœux à une « offensive » contre « la montée régulière du FN dans l’opinion ». Il invitait ainsi à « ne pas jouer l’avenir de (nos) enfants et de (notre) pays à la roulette russe ». Il déclarait aussi en février 2015 qu’en cas de second tour PS-FN à la présidentielle, il voterait pour le candidat socialiste.
Marine le relevait hier, «la présidentielle, ce ne sont pas des partis politiques qui présentent un candidat (…), c’est un candidat qui se présente et qui est soutenu par un ou plusieurs partis», et c’est aussi un autre enseignement de ce scrutin, «Jamais ils (les candidats à la primaire, NDLR) n’ont autant parlé que dans cette primaire de sécurité, jamais ils n’ont été aussi opposés à la mondialisation sauvage, jamais on a parlé autant de protectionnisme. C’est nous qui posons les termes du débat et ils tournent autour».
Et Le Figaro de noter encore cette analyse faite dans l’entourage de Marine Le Pen : «C’est une droite perdue, déboussolée, qui ne veut ni de Sarkzoy, ni d’un Juppé balladurisé plus vite que prévu, qui (s’est donné) à un homme tellement courageux qu’il a été incapable de s’élever contre Sarkozy pendant cinq ans». A charge pour l’opposition nationale de savoir fédérer un électorat sarkozyste pour partie désormais en déshérence, qui ne retrouve pas chez M. Fillon la fermeté affichée par l’ex président de la République sur les questions migratoires et sécuritaires au cours de cette campagne.