Alors qu’à nouveau un militaire de l’opération Sentinelle vient d’être agressé au couteau vendredi à 6 h 30, métro Châtelet, aux cris d’Allah Akbar, le dispositif Sentinelle est plus que jamais remis en question. A la fois à cause de son coût, de l’effort surhumain à flux tendu qu’il exige et de son peu d’efficacité. Le gouvernement annonce sa « rénovation » mais les changements apparaissent minimes.
Comme pour le général de Villiers, quand un gradé parle c’est assez rare et mieux vaut l’écouter. « L’objectif essentiel de l’opération Sentinelle n’est pas antiterroriste, il est politicien », déclare depuis des mois le général Vincent Desportes, ancien général de division de l’armée de terre et professeur à Sciences Po, qui se fait en l’occurrence le porte-parole de nombreux militaires.
Selon lui ce dispositif qui a mobilisé jusqu’à 11 000 hommes après l’attaque de Charlie Hebdo n’a jamais arrêté aucun attentat, pas plus celui du Bataclan que celui de Nice. Le bilan de cette opération qui sert essentiellement au gouvernement à rassurer psychologiquement la population, serait même négatif car le dispositif pèse d’un poids très lourd sur la capacité des armées.
« On est bien dans une dépense budgétaire et capacitaire qui n’est payée par rien en retour. L’armée de terre est la première concernée. C’est une gabegie, parce que la formation des soldats coûte très cher, alors qu’on leur apprend à faire un métier qui n’est pas le leur. »
Sentinelle aurait même les effets inverses de ceux escomptés en matière de sécurité des soldats. Desportes évoque « l’effet du paratonnerre qui attire la foudre » :
« Ils patrouillent comme des troufions devant la gare Montparnasse. Ils sont bien visibles. Ils sont donc devenus des cibles privilégiées pour tous les illuminés de Daech. »
L’ancien militaire a demandé à plusieurs reprises à Macron d’avoir le courage d’arrêter l’opération Sentinelle. Mais en la compensant intelligemment : « On pourrait très bien avoir des forces dédiées à la protection du territoire national, avec deux ou trois réservoirs de forces positionnés en France, prêts à réagir très rapidement. L’armée serait prête à intervenir en cas de massacre de masse et elle le ferait efficacement avec tous ses moyens concentrés (hélicoptères, radio, logistique). Dans ce cas de figure, ils auraient été utiles au Bataclan, par exemple. Tout ce qu’elle ne peut pas faire aujourd’hui puisque les moyens sont totalement dispersés. »
La force Sentinelle était sur place au Bataclan. Mais elle a reçu l’ordre de la préfecture de police de Paris de ne pas engager le feu, parce qu’avec leurs Famas, en milieu confiné, ces militaires n’entrent pas. Si demain il y avait un nouveau Bataclan, ils n’entreraient pas davantage.
Sentinelle rassurant psychologiquement les Français selon les sondages, c’est donc un Sentinelle « rénové » et « modulable » mais avec peu de changements sur le principe qui a été présenté jeudi, après un Conseil de défense restreint à l’Elysée, par Florence Parly et Gérard Collomb. Le dispositif comprend désormais trois niveaux. L’un, permanent, pour sécuriser les lieux les plus sensibles : sites touristiques, aéroports et gares. Un autre, d’urgence, permettant la remontée en puissance, en huit jours de 10 000 hommes. La seule nouveauté réside dans un niveau intermédiaire, dit « de manœuvre », rendant possible des efforts ponctuels lorsqu’il s’agira de sécuriser un événement occasionnel (type Euro de football) ou saisonnier (braderie de Lille…). Nettement insuffisant pour calmer la colère et le découragement des militaires.
Caroline Parmentier
Article et dessin de Chard parus dans Présent daté du 16 septembre 2017