CasaPound a joué un rôle central dans la normalisation du fascisme dans son pays de naissance. Maintenant, le mouvement essaie d’entrer au Parlement.
Nous offrons ici à nos lecteurs une traduction de ce reportage paru le 22 février 2018 dans The Guardian, quotidien d’information britannique marqué à gauche. Texte original de Tobias Jones.
Dans la nuit du 27 décembre 2003, cinq hommes ont pénétré par effraction dans un immense complexe de bureaux vides à Rome, juste au sud de la gare principale de Rome, Roma Termini. Quelques jours plus tôt, ils avaient fabriqué de faux tracts appelant le public à l’aide pour retrouver un chat noir perdu appelé « Pound ». C’était un moyen d’éviter les soupçons alors qu’ils surveillaient le bâtiment avant d’entrer par effraction.
Rien n’ a été laissé au hasard: la date, entre Noël et le Nouvel An, a été choisie parce qu’il n’y aurait pas beaucoup de monde. Même le nom et la couleur du chat n’étaient pas anodins: « Pound » était un clin d’œil au poète et évangéliste fasciste américain Ezra Pound. Et le noir était la couleur associée à leur héros, Benito Mussolini. Ils avaient prévu de lancer une station de radio à l’intérieur de leur nouveau bâtiment appelé Radio Bandiera Nera – « Radio drapeau noir ».
L’homme qui donnait les ordres cette nuit-là était Gianluca Iannone. A 30 ans, il était grand, costaud et brusque. Avec sa tête rasée et sa barbe épaisse, il ressemblait un peu à un Hells Angel. Il avait « me ne frego » (« Je m’en fiche » – le slogan utilisé par les troupes de Mussolini) tatoué en diagonale sur le côté gauche de son cou. Iannone était célèbre dans les milieux fascistes en tant que chanteur principal dans un groupe de rock appelé ZZA, et en tant que propriétaire d’un pub à Rome, le Cutty Sark, qui était un point de rencontre pour l’extrême droite de Rome.
Les cinq hommes étaient nerveux et excités alors qu’ils travaillaient à tour de rôle sur la porte d’entrée en bois avec des pieds-de-biche. Les autres se rassemblèrent à proximité, pour observer et couvrir. Une fois que la porte eut cédé, ils se sont entassés à l’intérieur, la poussant derrière eux. Ce qu’ils ont découvert était époustouflant. Il y avait un grand hall d’entrée au rez-de-chaussée, un grand escalier et même un ascenseur. Il y avait 23 bureaux dans l’immeuble de sept étages. L’occupant précédent, une autorité administrative gouvernementale, avait déménagé une année auparavant, de sorte que l’endroit était gelé et humide. Mais c’était énorme, il couvrait des milliers de mètres carrés. La cerise sur le gâteau, c’était la terrasse: une grande toiture murée d’où on pouvait voir tout Rome. Les hommes s’ y rassemblèrent et se serrèrent dans leurs bras, sentant qu’ils avaient planté un drapeau au centre de la capitale italienne – dans un quartier sensible, Esquilino, qui accueillait de nombreux immigrants africains et asiatiques. Iannone surnommait leur bâtiment « l’ambassade italienne ».
Ce bâtiment devint le siège d’un nouveau mouvement appelé CasaPound. Au cours des 15 années qui vont suivre, il ouvrira 106 autres centres à travers l’Italie. Iannone, qui faisait partie de l’armée italienne depuis trois ans, a qualifié chaque nouveau centre de « reconquête territoriale ». Parce que chaque centre était autofinancé, et parce qu’ils prétendaient « servir la population », ces nouveaux centres ont ouvert à leur tour des gymnases, des pubs, des librairies, des clubs de parachutisme, des clubs de plongée, des clubs de motocyclisme, des équipes de football, des restaurants, des boîtes de nuit, des salons de tatouage et des salons de coiffure. CasaPound semblait soudain partout. Mais il s’est présenté comme quelque chose au-delà de la politique: c’était de la « métapolitique », faisant écho à l’influent philosophe fasciste Giovanni Gentile, qui écrivit en 1925 que le fascisme était « avant tout une conception totale de la vie ».