
La haine du Blanc n’est ni un fantasme ni une formule polémique récente. C’est un phénomène politique récurrent, observable, documenté, qui suit partout le même chemin et produit toujours la même issue. Le départ. L’Algérie de 1962 en est l’exemple matriciel. Ce qui s’y est joué ne relève pas simplement de la décolonisation ou de la fin d’un conflit armé, mais de l’installation durable d’une logique de désignation raciale. En quelques mois, l’Européen d’Algérie est devenu un corps étranger, non pour ce qu’il faisait, mais pour ce qu’il était. Peu importaient les générations, l’enracinement, les vies construites sur place. La faute était héréditaire, liée à la couleur de peau, et donc irréversible. Le résultat est connu mais rarement nommé pour ce qu’il est : près d’un million de personnes contraintes de partir dans l’urgence, la peur, parfois la violence. Une épuration ethnique de fait, longtemps minimisée, justifiée, rationalisée, puis recouverte par le silence.
Ce précédent n’a jamais été réellement analysé. Il a été enfoui. Pourtant, il a servi de modèle. On l’a vu se reproduire presque à l’identique en Afrique du Sud après la fin de l’apartheid. Là encore, une faute historique réelle a été transformée en justification permanente d’un rapport de force racial inversé. La promesse officielle était celle d’une société réconciliée. La réalité a été tout autre. Progressivement, sans rupture brutale, un discours de revanche s’est imposé. Le Blanc sud-africain n’a plus été considéré comme un citoyen parmi d’autres, mais comme un survivant toléré, placé sous condition morale permanente. Discriminations dites positives, politiques de quotas, discours publics de plus en plus hostiles, relativisation des violences ciblées, tout a concouru à installer un climat où le départ devenait la seule issue raisonnable. Comme ailleurs, ce départ a été présenté comme volontaire, jamais comme une fuite imposée par l’environnement devenu hostile.
Ce schéma n’est ni exceptionnel ni localisé. Il se rejoue aujourd’hui en France, de manière plus diffuse mais tout aussi lisible, dans les quartiers islamisés des grandes villes. Il ne s’agit plus d’un changement de régime, mais d’une transformation progressive des normes sociales. Le Blanc n’y est pas officiellement interdit, mais il y est de plus en plus indésirable. Insultes raciales, pressions quotidiennes, agressions, évitement systématique, peur pour les enfants. Le racisme y est quotidien, mais jamais nommé comme tel. Il est excusé, relativisé, protégé idéologiquement. Le départ se fait par vagues successives, sous couvert de mobilité résidentielle, alors qu’il s’agit d’un exode intérieur silencieux. Comme ailleurs, les classes moyennes partent d’abord, puis celles qui le peuvent encore. Les autres restent, contraintes à l’effacement, à la discrétion, à la soumission silencieuse.
Demain, cette logique pourrait s’imposer plus ouvertement encore en Nouvelle-Calédonie. Là aussi, la citoyenneté tend à être relue à travers le prisme ethnique. La légitimité politique n’est plus pensée comme un fait civique, mais comme une donnée raciale. Certains votes compteraient moins que d’autres en fonction de l’origine. Certains habitants seraient moins légitimes que d’autres à décider de l’avenir du territoire. Le vocabulaire est soigneusement choisi pour masquer la réalité du processus. On parle de réparation, de rééquilibrage, de décolonisation inachevée. Mais la mécanique est connue. On commence par délégitimer, on segmente, on hiérarchise, puis on laisse entendre que le départ de certains serait une solution d’apaisement. Comme toujours, l’expulsion n’est jamais assumée. Elle est présentée comme une évolution naturelle.
Ce qui frappe, c’est l’attitude d’une partie de la gauche blanche, convaincue de pouvoir se protéger en reprenant ces discours. Elle pense être du bon côté, croire en la bonne cause, acheter une immunité morale. Elle répète les mots, adopte les codes, accepte la culpabilité collective en espérant être épargnée. L’histoire montre pourtant que cette stratégie ne fonctionne jamais. Lorsqu’une logique raciale s’installe, elle ne tolère aucune exception durable. Les Blancs de gauche finiront eux aussi par être exclus, non pour leurs idées, mais pour ce qu’ils sont. La logique identitaire finit toujours par purifier son propre camp.
Ce basculement n’est pas le fruit du hasard. Il est porté par des relais idéologiques et politiques qui ont décidé de redéfinir le racisme comme un outil à sens unique. Certaines haines seraient légitimes, d’autres condamnables. Certaines paroles seraient courageuses, d’autres criminelles. Derrière les provocations verbales et les déclarations volontairement choquantes, se dessine une vision cohérente du monde fondée sur le rapport de force, la démographie et la revanche. Ce deux poids deux mesures détruit toute référence commune et prépare les esprits à l’idée que certains n’auraient pas vocation à rester là où ils vivent.
On ne parle plus d’exclusion, mais d’évolution sociologique. On ne parle plus d’expulsion, mais de fatalité historique. Le langage change, mais la réalité demeure. Ce n’est ni une prophétie ni une exagération. C’est un constat tiré de situations déjà vécues, déjà observées, déjà documentées. À chaque fois, le déni n’a fait que garantir que le phénomène se reproduirait sans résistance.
Jérôme Viguès