Par Pierre de Meuse
Jeudi 12 juillet, la Chambre des députés a voté la proposition d’une nouvelle révision constitutionnelle, concernant l’article 1 de la Constitution qui est pour l’instant encore rédigé ainsi : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. »
Le but de cette révision est de supprimer le mot « race » et de le remplacer par le mot « sexe ». Cette révision était demandée depuis des décennies par des députés antillais, notamment par Victorin Lurel. Elle recevra force constitutionnelle si la procédure aboutit. Il est à noter que ce texte a été approuvé à l’unanimité des votants présents. Sans vouloir être taxé de libéralisme, qu’il nous soit permis de nous inquiéter de l’unanimité qui est souvent le signe d’une forte pression, quelquefois même d’une violence cachée. Rappelons le serment du jeu de paume, en 1789, lors duquel le seul opposant assez courageux pour voter contre, a dû être exfiltré en vitesse car nombre de députés brandissaient un couteau pour l’assassiner.(1) D’ailleurs lors du vote du 12 juillet, un démocrate-chrétien, le président du groupe UDI-Agir, Jean-Christophe Lagarde (Photo), a mis en exergue qu’« aucun représentant de l’extrême droite n’était présent pour ce vote qui honore notre nation ». Les députés Rassemblement national (RN), étaient en effet, selon lui « absents par volonté ». Gageons que s’ils avaient voté pour au lieu de s’abstenir, Lagarde n’aurait pas manqué de mettre en doute leur sincérité.
Mais quel est l’intérêt d’une telle loi constitutionnelle ? Doit-on conclure que la discrimination raciale, jusque-là interdite par le Droit républicain, devient permise ? Evidemment non. L’idée sous-jacente est que le calendrier de l’émancipation par l’égalité débute une étape nouvelle ; celle de la race étant dépassée, on se tourne vers un autre chantier, celui de la différenciation sexuelle. Conséquence logique, il faut terminer le travail en jetant l’interdit sur le mot de race, un mot que les rapporteurs estiment dénué de sens, un mot qu’il faut chasser de l’expression orale ou écrite car il légitime selon le rapporteur « l’opinion selon laquelle il existerait des « races distinctes ». Cette opinion – qui est un délit dans notre droit positif – a toujours servi de support »,poursuit-il, aux discours qui préludent à l’extermination des peuples.» (2)
Cela dit, cette décision de l’assemblée nous paraît remettre en vigueur une conception philosophique bien oubliée : celle du nominalisme, la rendant encore plus absurde en la renversant.
Pour les lecteurs de LFAR non passionnés de philosophie, rappelons que le nominalisme est une doctrine qui considère que les concepts ne sont que des conventions humaines. Les choses et les êtres n’existent donc qu’à partir du moment où ils ont reçu un nom. Le nominalisme est issu de la scolastique médiévale dans ses marges ou dans ses développements tardifs.(3) Il s'oppose à l’idéalisme platonicien, comme au réalisme aristotélicien et thomiste.
En l’occurrence, les rapporteurs de la loi constitutionnelle procèdent à un renversement logique des principes du nominalisme : puisqu’une chose n’existe que si elle est nommée, il suffit de supprimer le nom pour faire disparaître son objet. C’est donc à cette tâche que s’attellent les députés. Mais comment faire disparaître le nom de ce qui est innommable et qui possède plusieurs sens ? En le rayant des dictionnaires ? En caviardant les textes littéraires et les livres d’histoire ? Faut-il interdire la tirade d’Andromaque dans la pièce du même nom : « Fais connaître à mon fils les héros de sa race »? Ou brûler le serment du sacre des rois de France : « Règne noble race des Francs » ? (Photo) .Ou frapper d’anathème le jugement de Mauriac : « L'individu le plus singulier n'est que le moment d'une race. » ?Cela risque d’être difficile. Alors, ils décident de le rayer du vocabulaire constitutionnel, en espérant que cet effacement rituel aura pour effet de faire disparaître la notion des mentalités. En somme les députés participent inconsciemment à un retour de la pensée magique. Poursuivant les méthodes de la doctrine kantienne, ils formulent une imprécation : « la diversité humaine n’est pas car elle ne doit pas être ». Il faut remarquer que la Droite officielle et l’extrême Gauche mélenchoniste sont tombées d’accord pour approuver cette démarche, craignant d’une seule voix, celles de Philippe Gosselin et d’Éric Coquerel, que cet effacement sémantique ne « conduise à baisser la garde pour lutter contre le racisme ». Et presque personne ne met en lumière la régression de la pensée qui tire un trait sur cinq siècles d‘épistémologie européenne. Paradoxalement, c’est un député LREM, le mathématicien Cédric Villani qui a émis, sans se rendre compte du sacrilège qu’il perpétrait, des réserves iconoclastes : « Cette suppression du mot race ne doit pas être décidée au nom de la science, « qui peut toujours évoluer », mais au nom de« l’empathie et du sens du destin commun par lesquels nous reconnaissons toute l’humanité comme nos frères et sœurs ». Ce qui revient à dire que la science n’a rien à faire dans cette loi, mais seulement les bons sentiments. Quel aveu !
Il y a tout de même une remarque à faire à ceux d’entre nos lecteurs qui jugeraient que ce sujet est trop dangereux, que d’ailleurs le corpus législatif de l’antiracisme ne nous concerne pas, puisqu’il est destiné aux disciples du germanisme insoutenable de Houston Chamberlain ou Vacher de Lapouge, et que par conséquent il est inutile d’en parler. Nous pensons au contraire que nous sommes concernés au premier chef. Il suffit en effet de lire l’exposé des motifs de cette loi pour y trouver la preuve que l’abolition du terme de race va bien plus loin que la simple condamnation de la théorie biologique de la race : « l’utilisation du terme de race est contraire à notre tradition constitutionnelle républicaine qui vise depuis 1789 à nier le concept même de différence naturelle. » Ce terme de différence naturelle doit être compris dans toute son acception, c’est-à-dire innée, mais aussi collective et reçue, soit traditionnelle. C’est la totalité des différences humaines qui sont ainsi condamnées comme illégitimes. Il nous faut en être conscient.
C’est ainsi que l’antiracisme développe sur tous les tons l’idée que « Le sexe n’a pas plus une réalité biologique que la race. Sexe et race sont des constructions sociales qui consistent à hiérarchiser, classer les individus selon des dispositions, des compétences et aptitudes supposées appartenir à leur nature. Enfin, la "race" permet de décrire de manière plus exhaustive l’imaginaire qui alimente - en même temps qu’il s’en nourrit – les différentes fixations du racisme : en effet, la race renvoie à la production d’une différence irréductible et hiérarchisée entre les hommes à partir de la perception fantasmée de la couleur de peau, des origines, de la confession, de la culture. En ce sens, ni l’origine ni la couleur de peau en tant que telles ne décrivent adéquatement l’ensemble des configurations racistes : il suffit de penser au racisme qui touche les Roms ou encore à l’antisémitisme. Dans ces deux cas, ce n’est pas l’origine, ni la couleur de peau ni même la confession stricto-sensu qui opère dans ces racismes spécifiques.(4) » Dans ces conditions, toutes les acceptions de la race, des plus figurées aux plus anthropologiques (5), comme toutes les expressions ou caractères de la virilité et de la féminité, sont considérées comme devant être détruites. Il faut bien comprendre que la démocratie idéologique a juré de démolir pierre par pierre tous les héritages humains pour ériger son Homme nouveau quel qu’en soit le coût. Ce serait du pur aveuglement que de détourner le regard de cette réalité.
1. Il s’agissait du député de Castelnaudary Martin Dauch - Honneur à sa mémoire.
2. Victorin Lurel, dans l’énoncé des motifs du projet de 2004, non validé. On peut s’interroger cependant sur la fidélité de cet honorable membre du Parlement au Congressional Black Caucus de Washington, la réunion des parlementaires noirs américains. En effet, ce groupe se fonde clairement sur des bases racistes négro-africaines.
3. Citons à ses débuts Pierre Abélard, puis Guillaume d’Occam, ou, pour les XVII° et XVIII° siècles, Gassendi, Berkeley et Condillac.
4. Hourya Bentouhami maitresse de conférences à l’Université de Toulouse 2 auteur de « Race, cultures, identités une approche féministe et postcoloniale » (éd. Puf),
5. C’est-à-dire : « Ensemble des personnes appartenant à une même lignée, à une même famille ». « Ensemble de personnes qui présentent des caractères communs dus à l'histoire, à une communauté, actuelle ou passée, de langue, de civilisation sans référence biologique dûment fondée ». « Population autochtone d'une région, d'une ville. », « Groupement naturel d'êtres humains, actuels ou fossiles, qui présentent un ensemble de caractères physiques communs héréditaires, indépendamment de leurs langues et nationalités ». « Subdivision de l'espèce fondée sur des caractères physiques héréditaires représentée par une population. » et bien d’autres encore.
Pierre de Meuse
Docteur en droit, conférencier, sociologue et historien.