Selon France Info, l’Élysée craindrait la présence, samedi 8 décembre, d’« un noyau dur de plusieurs milliers de personnes » qui viendraient à Paris « pour casser et pour tuer ». Ce jeudi matin, Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires, a fait, sur BFM TV, une annonce similaire. Le gouvernement possède-t-il des informations sûres ? Joue-t-il la dramatisation pour dissuader les manifestants de se rendre à Paris et dégager sa responsabilité au cas où se produiraient vraiment des incidents tragiques ? Tout est possible. On ne peut que constater une évidence : Emmanuel Macron, le gouvernement et la majorité n’ont pas saisi la véritable nature du mouvement des gilets jaunes, qui est une remise en cause de leur légitimité.
Le camp macronien continue d’affirmer qu’il garde le même cap, car il aurait été approuvé, aux élections présidentielles, par une large majorité d’électeurs. C’est là que commence l’imposture. Macron n’a obtenu, au premier tour, que 24,01 % des suffrages exprimés, c’est-à-dire une petite minorité. S’il a atteint 66,10 % au second tour (avec 11,52 % de blancs et nuls), c’est par défaut, parce qu’un certain nombre d’électeurs ont choisi Macron pour rejeter Marine Le Pen. Ce n’est, en aucun cas, par adhésion à son programme de campagne, au demeurant flou sur bien des points.
La majorité rétorque que les élections législatives ont confirmé ce choix, puisque La République en marche a obtenu 306 sièges et le MoDem 42. C’est oublier que ces deux partis n’ont réuni, au second tour, que 18,88 % des inscrits et ont bénéficié du mode de scrutin. Objectivement, la majorité actuelle n’est pas représentative des Français, même si elle fut légalement constituée. En niant cette réalité, en agissant comme s’ils avaient la confiance d’une majorité de Français, Emmanuel Macron et son gouvernement ne peuvent aller que dans l’impasse.
Ce n’est pas en faisant le dos rond ni en présentant les gilets jaunes comme des factieux (d’ultra-droite, de préférence à l’ultra-gauche, aux casseurs et aux pilleurs professionnels) que le pouvoir pourra apaiser la colère qui monte dans tout le pays : Emmanuel Macron, retranché dans l’Élysée, Édouard Philippe, bien obligé de suivre ses volontés, les députés de la majorité qui font bloc pour se rassurer semblent n’avoir rien compris à ce qui se passe et cherchent à sauver la face, alors qu’ils l’ont totalement perdue.
C’est la grande leçon qu’il faut tirer de cette crise des gilets jaunes. La Constitution de la Cinquième République, fabriquée sur mesure pour le général de Gaulle, ne convient plus à la France d’aujourd’hui. Il faut développer les modes de consultation du peuple – ce que réclament, avec leurs mots, la plupart des gilets jaunes. Non pas, comme le projette le gouvernement, par une dose insignifiante de proportionnelle – d’autant plus insignifiante que le nombre de députés serait parallèlement diminué – mais par des mesures concrètes : consultation directe ou par les corps intermédiaires, référendum d’initiative populaire, introduction de la proportionnelle intégrale, avec prime au vainqueur… les moyens ne manquent pas.
« Aucune taxe ne mérite de mettre en danger l’unité de la nation », a déclaré le Premier ministre devant l’Assemblée. Il a raison, mais il doit en tirer toutes les conséquences. Aucun gouvernement ne peut tenir longtemps sans l’assentiment d’une majorité des Français. Pour sortir durablement de la crise des gilets jaunes, Macron doit admettre qu’il n’est pas infaillible et procéder à des réformes institutionnelles. Non pas pour asseoir son pouvoir mais pour le légitimer. Pour devenir le président de tous les Français. Comme on se doute qu’il n’est pas prêt à le faire, il ne lui reste, au choix, qu’à se retirer ou à dissoudre l’Assemblée.