Un accord est donc intervenu, au sein du Conseil européen, ce 2 juillet. Il s'agit à la base, d'un verre à moitié vide et à moitié pleine, partagé entre conservateurs et libéraux centristes plus ou moins macroniens, mais aussi entre dirigeants français et allemands. Il faut donc vraiment témoigner d'un grand aveuglement, d'un préjugé chauvin ou d'une insigne mauvaise foi pour dire, comme Mediapart l'affirme ce 3 octobre "à la fin c'est les Allemands qui gagnent". Cette vieille plaisanterie ne s'applique même plus au podosphère. Elle est totalement dépourvue de sens dans le cas présent[1].
Ne rechignons pas toujours et à contretemps. Les motifs d'insatisfaction ne manquent pas, félicitons-nous par conséquent, plutôt, des moments d'équilibre, comme celui de ce 2 juillet où le Conseil européen semble avoir désigné une équipe moins fade et moins désespérante que la Commission Juncker finissante.
Il ne s'agit peut-être pas d'un mariage d'amour, sans doute de raison : les plus durables. Tant pis pour les romantiques. Ils se sont toujours trompés dans le monde réel, – à distinguer une fois pour toutes de la littérature où ils peuvent exceller, Chateaubriand plus que Victor Hugo pour dire le vrai.
Premier motif de satisfaction : la réaction dépitée des gens de gauche, et celles, furibardes de l'extrême gauche, aussi bien, chez les élus français, d'un Glucksmann pour les socialistes d'un Jadot pour les écolos que d'une Manon Aubry, la petite bolchotte, d'ailleurs courageuse, inventée par Mélenchon.
Que dit-elle sur ses gazouillis du site Tweeter ? Elle enrage : "Le conclave européen nous jette enfin une poignée de noms pour les top jobs. Seul vainqueur, estime-t-elle : le libéralisme. Et de nombreux perdants : le climat, la justice fiscale, lutte contre les inégalités, démocratie et les peuples européens. Le Parlement où nous siégeons ne peut se taire !"
On a compris : l'extrême gauche mettra à profit son temps de parole et on l'entendra. Les murmures ont déjà commencé.
Sans doute n'a-t-elle pas compris que les forces de gauche, divisées entre socialistes, ex-communistes, y compris écolos, ne disposent tout mouillé que de quelque 200 eurodéputés sur 750. Tout simplement parce que le scrutin proportionnel, que je n'encense pas, répercute les courants d'opinions, [accaparés certes par les appareils partisans]. Et les Européens ne veulent pas, majoritairement, des lubies marxistes. On peut se préparer aux futurs angles d'attaques gauchisants quand Manon Aubry écrit aussi : "On ne peut se satisfaire uniquement de la présence de femmes à des postes de pouvoirs. Sur le fond des dossiers, rien ne changera : tous et toutes partagent le même projet néolibéral."! Sous cette appellation on retrouve en effet la vieille dénonciation, la vieille haine ce que les marxistes appelaient autrefois le capitalisme, c'est-à-dire l'entreprise et la propriété privée.
Le camarade Jadot, quant à lui, avait pris, au lendemain du 26 mai, ce que le Canard enchaîné appelle "la grosse tête", "le melon". Ses 13 % en France lui font surestimer la capacité de ses Khmers verts à occuper des postes à responsabilité en Europe. En réalité, relativement affaiblis dans d'autre pays, le groupe des écolos survit en grande partie par l'effet d'un reflux des très décevants sociaux-démocrates. Ils ont été écartés par l'effet de l'accord du 2 juillet et se préparent à rejoindre, contre une majorité démocratique qu'on dira de droite, une opposition de gauche composée elle-même des autres "usual suspects." Sa réaction fait donc sourire quand il estime que "c’est un très mauvais casting, avec des personnalités de second rang, un rang médiocre". Lui seul est une personnalité non médiocre, et même hors du commun.
Sans doute, les Verts imaginaient-ils une combinaison telle qu'on la suggérait en France, entre socialistes, centristes et eux-mêmes, au mépris de la sanction des urnes qui en Europe ont penché à droite, tout en affaiblissant le PPE… À ce respectable conglomérat plurinational des partis de centre droit on ne pouvait appliquer la théorie dite du Spitzenkandidat. Non parce que ce principe serait odieux, non parce qu'il tend à affaiblir les chefs d’États et de gouvernements, mais tout simplement dans la mesure où, en recul, le PPE ne compte que 184 sièges sur 750 et ne représente, Fidesz hongrois compris, que le quart de l'assemblée, le quart de l'opinion. Pas plus que Bellamy en France, même si on le déplore, Manfred Weber n'a pas gagné en Europe. Le traité de Lisbonne de 2008 définit de manière assez claire la désignation d'un président de la Commission européenne. Le conseil européen "tient compte" du résultat des élections européennes.
Bonne nouvelle : la manœuvre inverse, tendant à faire nommer Franz Timmermans, champion des sociaux-démocrates néerlandais a échoué. On ne peut que s'en féliciter. La proposition a été bloquée par les 9 membres conservateurs sur 27 au sein du Conseil européen. Ceci avait entraîné quelques jours de flottement, que les cassandres professionnelles ont interprétés comme un vent de panique, un effondrement des institutions européennes.
Mais, contrairement à ce que laisse entendre Jadot, ce ne sont pas des personnalités effacées, comme l'ont été un Juncker et avant lui un Cardoso.
La seule véritable interrogation porte sur la nomination de Mme Lagarde, non en raison du faux scandale de l'arbitrage Tapie, mais parce que sa doctrine, et même sa compétence, en matière de politique monétaire restent problématiques. L'héritage de Mario Draghi sera lourd à gérer.
En fait, on a assisté à un double accord : entre la France et l'Allemagne, qui demeure le moins mauvais moteur de l'Europe et, aussi entre libéraux et conservateurs qui, alliés, représentent les 2/3 du Parlement européen, les 2/3 des électeurs mais aussi les 2/3 des États. Il est temps d'en prendre conscience, et la gauchisation culturelle doit cesser de s'imposer contre les peuples. La coalition socialo-centriste entre PPE et sociaux-démocrates a vécu. Elle pilotait les institutions depuis l'époque Delors.
Souhaitons qu'un vent nouveau souffle sur le Continent. Souhaitons surtout que cette alliance "conservatrice et libérale" ose se confirmer, se définir, et se consolider, et qu'elle ne se brise pas sur le moindre écueil comme la droite l'a si souvent fait.
[1] Si l'on devait enregistrer une "victoire" et succomber une seconde au chauvinisme stupide des médias parisiens, qui s'interrogent surtout sur le passeport des commissaires européens, signalons que les 5 principaux nominés sont tous parfaitement francophones, de Mme von der Leyen à M. Borell...
JG Malliarakis
https://www.insolent.fr/2019/07/europe-comprendre-le-compromis.html