Comme annoncé depuis plusieurs jours Édouard Philippe a donc dévoilé, c'est le mot du jour, le projet et les arbitrages présidentiels en matière de réforme des Retraites. Devant le prétendu Conseil économique, social et environnemental, il s'est ainsi attaché à démontrer la justice des futurs critères de la sacro-sainte répartition.
Le moins que l'on puisse en dire a été développé par Laurent Joffrin. La situation ridicule, dans laquelle le pouvoir s'est engouffré, lui donne des ailes et lui permet d'écrire avec brio, et pour une fois de manière pertinente dans Libé, sous le titre "Philippe la boulette" :"Saluons le tour de force. Édouard Philippe fait un grand discours pour tenter d’apaiser le mouvement contre la réforme des retraites : il réussit à monter tout le monde contre lui."
Il détaille ainsi :"Il veut faire baisser la tension à la SNCF, elle redouble d’intensité. Il veut diviser les conducteurs de métro, ils sont plus unis que jamais. Il veut rassurer les profs, ils s’inquiètent d’autant. Il veut traiter le cas des personnels hospitaliers à part. Ils rejoignent le mouvement. Il veut mettre de son côté les professions libérales, elles seront dans la rue mardi."
Mardi : c'est-à-dire le 17 décembre, de plus en plus près des dates traditionnelles d'achats les plus élevés dans les grands magasins comme dans l'ensemble des commerces.
Outre la galère de tout un chacun, c'est aussi la catastrophe économique se dessine avec la perspective du maintien de la grève et du blocage des transports.
Laurent Berger, quant à lui, s'est exprimé très clairement et très nettement sur TF1 le soir même, au journal de 20 heures. Tout le monde considérait jusque-là le secrétaire général de la CFDT comme le dernier allié possible du gouvernement. Depuis 2006, en effet, la centrale développait comme une revendication le principe d'un système universel.
Ce principe, par parenthèse, l'auteur de la présente chronique pour avoir travaillé depuis 1986 sur la question de la retraite et de la protection sociale des indépendants, le tient pour parfaitement utopique, étatiste et inapplicable.
Mais voilà cela figurait, paraît-il, dans le programme du candidat Macron : cela devient donc une promesse. Or, la CFDT ne l'envisage absolument pas comme la Macronie, et notamment nos syndicalistes n'acceptent pas de l'assortir de mesures dites "paramétriques", destinées à compenser l'absence d'une autre promesse du candidat Macron, parfaitement abandonnées, celles-là, celle de la baisse des dépenses publiques.
D'où la colère assez visible de Laurent Berger dans l'enceinte du Conseil économique et social… d'où sa décision de rejoindre l'appel à manifester le 17, sans que l'on sache si et dans quelle proportion les syndiqués CFDT continueront cette grève thrombose et paralysante dont la CGT maintient le mot d'ordre avec l'appui de FO, de la FSU et de SUD.
À un tel stade il faut admettre la responsabilité du gouvernement dans une situation où presque toute la société française se retrouve perdante.
Nous ne pouvons donc que donner la parole en conclusion à Gilles Dansart, spécialiste bien connu des transports, qui écrit notamment dans sa Mobilettre : "Tout pronostic sur l’issue du conflit social en cours serait hasardeux. Les syndicats eux-mêmes sont bien en peine de dire ce que voudra la base. Mais les perdants sont d’ores et déjà nombreux."
Et il commence la liste des perdants par le pouvoir macronien : "Mais pourquoi s’être lancé, à ce moment-là et avec ce calendrier-là, se demande-t-il, dans une telle réforme 'systémique', forcément longue et compliquée ? Même les plus fervents soutiens du Président de la République osent poser ouvertement la question."
Et il ironise sur la réponse trop souvent entendue : "Tenir un slogan de campagne ? Seuls les naïfs s’accrochent encore à un tel totem politique. Le plus élémentaire des réalismes aurait commandé de poser un calendrier crédible, en phase avec l’extrême complexité de la réforme. Car les avertissements étaient nombreux, telles ces enquêtes de climat social à la SNCF ou dans l’Éducation nationale qui révélaient le profond malaise des équipes."[1]
JG Malliarakis
Publicité de bon goût pour les les Éditions du Trident
Apostilles
[1] cf. article "Défaites" par Gilles Dansart
https://www.insolent.fr/2019/12/bienvenue-chez-les-clowns.html