Règle numéro 1 d’un bon ministre macronisé : savoir garder son sang-froid en toutes circonstances. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il gèle à pierre fendre ou bien encore que la planète se réchauffe, le VRP du « en même temps » reste stoïque. Droit dans ses bottines, majestueux, quasi statufié.
Venue au palais de justice de Caen présenter ses très bons vœux à la magistrature, Nicole Belloubet a fait la démonstration de cette imperturbabilité, qui fait l’admiration des artistes de rue gris métallisé figés durant des heures devant les passants des rues piétonnes.
Alors que le ministre s’apprête à lancer son grand message d’espoir pour l’année qui s’annonce… une formule galvanisante du genre : « Cette année, les gars, c’est la bonne, nous étions jusqu’à présent dans un galop d’essai mais… 2020, ouh la la, on est remonté », voilà que les avocats réunis pour la circonstance se mettent à lancer leur robe au sol en signe de protestation contre la réforme des retraites. Nicole Belloubet semble n’avoir rien vu. Aucun signe extérieur de trouble, d’agacement ou de joie ne s’échappe du comportement du garde des Sceaux. D’autres robes surgissent du fond du groupe et c’est bientôt un monticule de tenues noires qui sépare le ministre des magistrats.
Impassible, apparemment convaincue que tout se passe normalement, Nicole Belloubet débute sa présentation de vœux. Un petit détail la tracasse néanmoins : elle n’a pas de micro. Zut, alors ! Tout se passait si bien… Allez, tant pis, ne faisons pas attendre plus longtemps ces hommes et femmes de loi venus se repaître de bons vœux pour 2020. Et comme si de rien n’était, elle entame sa déclaration : « Je voudrais simplement dans un premier temps présenter mes vœux aux z’uns et aux z’autres, à l’ensemble de la communauté judiciaire (une de plus !) qu’il s’agisse évidemment des magistrats, de l’ensemble des personnes de greffe, etc. » Pas un mot sur le tas de robes qui gît à ses pieds. Après tout, nous sommes en période de soldes. Le noir s’est sans doute mal vendu, cette année. Après le discours, pourquoi ne pas fouiller pour trouver la bonne taille ? Les manches sont un peu larges mais, à ce prix-là, on ne va pas faire sa difficile.
Saluons, ici, le tour de force de l’envoyée gouvernementale qui parvient à ignorer royalement le mécontentement de concitoyens placés à 3,50 mètres de sa personne. Un comportement dans la droite ligne de son mentor qui affiche une totale indifférence face aux divers mouvements de protestation. Fort de son règne assuré jusqu’en mai 2022, l’homme tient son détachement de cette assurance d’être réélu dans un fauteuil à l’échéance dite. Dans cette perspective, Emmanuel Macron estime sans doute qu’il faudrait être fou pour se préoccuper de ces jeteurs de robes et autres CGTistes, qui n’hésiteront pas une seconde à le préférer à tout autre candidat, le moment venu. De manière subliminale, Nicole Belloubet était porteuse de ce message auprès des magistrats. La force tranquille du fonctionnaire invirable.