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49.3 et obstruction : quand l’Assemblée trahit le peuple

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Par Natacha Polony

Obstruction contre passage en force. On peut jouer longtemps à savoir qui est coupable de poignarder encore un peu plus violemment la démocratie représentative. Du début à la n, le projet de réforme des retraites aura constitué un naufrage politique. D’une idée plébiscitée par une majorité de Français, l’obstination technocratique à faire travailler plus longtemps des citoyens soupçonnés de paresse congénitale aura fait une occasion de plus de construire l’image d’un pouvoir autoritaire et sourd. En face, la guerre de tranchées des députés insoumis à coups d’amendements prétextes aura davantage encore détruit ce qui reste de débat à l’Assemblée nationale. Et ces mots consternants du corapporteur de la loi, le député MoDem Nicolas Turquois, lançant à l’opposition sans même se rendre compte de l’énormité de ses propos : « Certains ont dit “la République, c’est moi”, eh bien, la République, c’est nous, et vous, vous n’êtes rien. » Irresponsabilité, mépris des institutions et réduction de la politique à une guerre de religion. On peut jouer longtemps à tout cela. Jusqu’à ce que les citoyens ne croient définitivement plus en la République comme moyen de tendre vers le bien commun.

Tout est aberrant dans cette histoire. Le 49.3, agité comme un chiffon rouge par Edouard Philippe et les députés La République en marche avec des airs compassés d’hommes prêts à « prendre leurs responsabilités », est depuis déjà quelques années détourné de son objet premier. Cet instrument permettant à un gouvernement de mettre en jeu sa légitimité face aux députés quand sa majorité ne le suit pas a perdu tout son sens lorsque cette majorité est écrasante et soumise. Résultat : il ne sert plus qu’à accélérer le vote d’une loi face à des députés d’opposition occupés à déposer de faux amendements pour ralentir le cours des choses. Qui, dans cette pantomime, se moque le plus des citoyens et de leur représentation légitime par des élus chargés de voter la loi en leur nom ? Un partout, la balle au centre.

Depuis deux ans et demi, les députés de La République en marche n’ont pas une fois daigné examiner les amendements proposés par les différentes oppositions, La France insoumise ou Les Républicains. Pas une fois ils n’ont considéré que l’opposition pouvait jouer un quelconque rôle démocratique. « La République, c’est nous, et vous, vous n’êtes rien. » Le cri du cœur. Et c’est comme cela, très exactement, que des députés LREM se sont retrouvés à refuser l’allongement du congé de deuil parental, proposé non pas par l’opposition, mais par un de leurs alliés, l’UDI, pour lequel ils n’ont visiblement pas plus de considération.

Tout le monde a donc bien compris que débattre entre représentants sur les dispositions précises qui pourraient améliorer les conditions de vie des mères de famille ou des ouvriers soumis à des tâches usantes qui leur abîment le corps n’a rigoureusement aucun intérêt. L’enjeu est ailleurs, dans ce spectacle qui se joue, pour les uns dans la rue et pour les autres dans la tête de ces électeurs de la bourgeoisie libérale qui doivent à tout prix être persuadés qu’Emmanuel Macron est bien ce « président réformateur » qui va en finir avec l’esprit de jouissance et les habitudes dépensières du peuple français. Le retour de la lutte des classes dans sa forme la plus brutale ne s’encombre pas de processus législatif et de délibération. Et c’est bien la raison pour laquelle La République en marche n’a pas jugé bon d’utiliser jusqu’à présent les outils qui lui auraient permis de contourner l’obstruction des députés insoumis, temps législatif programmé ou vote bloqué.

Le risque est d’ores et déjà identifié. Quand les citoyens seront définitivement persuadés que le long travail d’élaboration des lois par des élus du peuple est parfaitement inutile et qu’il suffit que des technocrates les rédigent dans le secret des cabinets ministériels pour le compte d’un gouvernement dont la seule légitimité est d’avoir empêché l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national, ils ne verront plus aucune diffaérence entre la démocratie et un quelconque régime autoritaire vaguement validé par des élections ponctuelles.

On peut considérer que la grandeur, de la part de l’opposition, eût été de multiplier les amendements utiles (quitte à pousser jusqu’au millier), les propositions sincères, donnant ainsi une leçon de démocratie et de responsabilité à un pouvoir enfermé dans son obstination autocratique. C’était visiblement trop demander à des bateleurs habitués à jouer la politique du pire. L’Assemblée nationale est née des Etats généraux le 17 juin 1789. La représentation du peuple face à tous ceux qui veulent le priver de sa voix : telle devrait être sa vocation. Et si certains aujourd’hui réclament la démocratie directe à travers le référendum d’initiative citoyenne, ce n’est pas parce que la bête immonde du fascisme serait de retour mais bien parce que cette vocation a été trahie. Voulons-nous vraiment savoir jusqu’où cela peut mener ?

Source : Marianne 27/02/2020

http://synthesenationale.hautetfort.com/

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