Rappelez-vous, c’était le 18 février 2020 à Bourtzwiller, quartier de Mulhouse, qu’Emmanuel Macron s’est paraît-il attaqué au séparatisme islamiste.
Bourtzwiller avait été choisi pour cet événement parce que le quartier a “de vraies difficultés” comme le disait le Président de la République, citant aussi la présence d'”associations qui prônaient de sortir de la République”, “la déscolarisation, des influences extérieures“. C’est l’un des 47 “Quartiers de reconquête républicaine” (QRR) en France, dispositif créé en 2018 pour lutter contre la délinquance et les trafics. C’est aussi l’endroit où est construite la plus grande mosquée de France : « ce projet qui est vieux de plus de 10 ans maintenant a été parachevé en ce qui concerne la salle de culte, qui est ouverte depuis mai 2019, mais pour le reste du complexe, qui est un projet qui comporte une école coranique, des locaux destinés à du soutien scolaire, une piscine, des commerces, des espaces de bien-être, le tout sur plus de 4 600 mètres carrés » (E.Macron), soit un futur merveilleux centre de bien-être 100% musulman.
Il faut se réjouir d’abord du fait qu’E.Macron a parlé d’islam en France, et non pas d’islam de France. Le pire n’est pas toujours sûr. Il faut se réjouir aussi des quelques mesures annoncées autour d’une première ligne de force : « reprendre le contrôle et de lutter contre les influences étrangères, en particulier à l’école et dans les lieux de culte ». Avec l’annonce de la fin de l’importation d’imams et des modifications concernant l’enseignement des langues dites d’origine :
« Nous avons hérité d’un système qu’on appelle souvent l’islam consulaire, c’est à dire que nous importons de manière régulière, chaque année, des imams et des psalmodieurs, des imams qu’on appelle détachés, des psalmodieurs qui sont nommés, désignés, formés par d’autres gouvernements. Nous avons cette relation principalement avec trois pays, l’Algérie, le Maroc et la Turquie, qui nous envoient ces personnes qui vont officier. Nous allons progressivement sortir de ce dispositif. En parallèle de ça, ce que nous devons faire et ce que nous allons faire, c’est, je vais y revenir dans un instant, former des imams en France pour qu’ils puissent maîtriser la langue et les lois de la République. Nous allons ainsi progressivement mettre fin au système des imams détachés, et là aussi, de manière progressive, aux psalmodieurs qui sont accueillis spécifiquement chaque année lors du ramadan. »
Il faut se réjouir (qui sait ?) de l’annonce de trois prochaines autres lignes de force :
« La deuxième, c’est de favoriser une meilleure organisation du culte musulman en France justement dans le respect de la laïcité et pour s’assurer du respect de toutes les lois de la République. Troisième ligne de force c’est de lutter avec détermination contre toutes les manifestations du séparatisme islamiste et du repli communautariste qu’il génère et qui contreviennent aux lois et règlements. Et la quatrième ligne de force c’est de pouvoir partout ramener la République là où elle a un peu démissionné, où elle n’a pas toujours été au rendez-vous, où des difficultés sont apparues que nous n’avons su résoudre comme il se devait ».
Les réactions au discours ont été diverses.
Le Point a donné un satisfecit :
« Le chef de l’État a posé les premiers jalons de sa ligne politique sur la « lutte contre le séparatisme », réussissant au passage l’exploit de rendre le débat audible et acceptable sur un sujet politiquement piégé, entravé par les crispations identitaires de tous bords. La méthode pourrait se résumer en deux mots : amour et fermeté. L’amour pour la célébration du vivier de talents présents dans les quartiers, l’envie affirmée de ne stigmatiser personne et l’affirmation d’une lutte nécessaire contre les discriminations. La fermeté pour la dénonciation assumée des ingérences étrangères, le refus des formes religieuses dévoyées et la volonté de restaurer l’idée républicaine dans des quartiers qui s’en étaient largement éloignés ».
Remarquons que même Alexandre Del Valle, géopolitologue averti du monde musulman, y a aussi trouvé matière à satisfaction :
« La surprise dans le discours présidentiel de Mulhouse a été de proposer carrément de bannir lesalafisme et le “frérisme”. Les propositions sont d’autant plus intéressantes que tous les ministres de l’intérieur successifs depuis le regretté Charles Pasqua ont laissé faire ces mêmes fréro-salafistes. … En invitant les musulmans à adopter une vision privatisée et donc républicaine de la religion puis à accepter cette laïcité française comme les Juifs et les Catholiques l’ont fait avant eux, idée que les islamistes combattent, le président a étonnement infligé aux Frères musulmans une véritable défaite rhétorique et idéologique ».
Une position plus fréquente était celle d’un on est loin du compte, comme pour Salomon Malka , écrivain et journaliste expérimenté, dans le FigaroVox, rappelant en particulier que parler ne suffit pas, il faut aussi agir :
« Emmanuel Macron a fini par parler après des mois et des mois de procrastination. Le résultat n’est pas totalement négligeable, mais on est encore loin du compte. Le Président est resté en arrière de la main dans trois domaines. Il n’a pas trouvé ou pas encore trouvé la bonne formule pour une représentation pertinente de l’islam. Il ne répond pas au durcissement de la société sur tout ce qui touche aux atteintes de plus en plus fréquentes à la laïcité. Il ne répond pas au durcissement de l’islam, pas seulement quand il est en rupture, mais aussi quand il joue des symboles. Ceux qui devaient être rassurés sur ces points ont des motifs de continuer d’être inquiets. Et ceux qui sont inquiets attendent la suite du discours. Et que les discours soient surtout suivis d’actes »
Sur le site de Causeur, position plus dure exprimée par Yves Mamou (également journaliste) qui n’hésite pas à parler de subterfuge :
« Feu le célèbre islamologue Bernard Lewis racontait dans un de ses livres que le Président Nasser avait demandé à des militaires pakistanais d’auditer ses forces armées. Nasser voulait connaître les forces et faiblesses du dispositif militaire égyptien. Quelques semaines plus tard, la commission pakistanaise pliait bagages en laissant le message suivant : « monsieur le président, une armée ou le soldat ment au sergent, ou le sergent ment au lieutenant, ou le lieutenant ment au capitaine, ou le capitaine ment au colonel qui ment à son tour au général qui ment à l’état-major lequel délivre de fausses informations au pouvoir politique pose un problème qu’il n’est pas dans notre compétence d’analyser et de résoudre ». Quiconque auditerait les relations de la France face à l’islam et l’islamisme, quitterait le territoire au bout de quelques semaines en laissant un message similaire à celui des militaires pakistanais. Sauf qu’en France, le mensonge ne part pas du bas de la société ; il est secrété par le bloc élitaire (classe politique-multinationales-médias) pour intoxiquer l’ensemble de la société… Pour ne pas avouer à l’opinion publique que l’immigration musulmane de masse génère d’insolubles problèmes de sécurité, d’inégalités, d’incivilités, le président s’est livré à un subterfuge. Emmanuel Macron a développé l’idée que les Français musulmans sont bons par nature, mais qu’une influence étrangère travaillait à les pervertir. [les] mesures phares du programme de Mulhouse sont donc destinées à restaurer en France, un islam à l’état de nature, c’est-à-dire un islam bon, débarrassé d’influences extérieures malignes ».
Pour le CCIF (comité contre l’islamophobie en France) enfin, qui considère qu’il n’y a chez les musulmans aucune volonté de repli communautaire et que tout est de la faute de l’Etat, le discours est entièrement mauvais, faisant de son auteur un disciple d’Eric Zemmour :
« Le mot « séparatisme » intervient dans ce flou, et ne fait pas grand-chose pour le clarifier. Cette idée, en plus de nourrir le fantasme du « grand remplacement », définit à nouveau la France comme une zone de guerre (la notion de « territoire » renvoie aux notions de conquête et de colonisation) qu’il faudrait désormais, dans ce plan que veut proposer Macron, reconquérir. La notion de « séparatisme », replacée dans son contexte guerrier, résonne donc assez fortement avec le discours d’Eric Zemmour à la Convention de la Droite, lorsqu’il a établi un lien, dans un ton qui n’a rien à envier aux discours fascistes, entre la présence musulmane en France et… la colonisation, par les Européens, des Amérindiens. Évidemment, cette comparaison est d’autant plus ridicule que si elle devait être faite, ce serait plutôt les populations indigènes musulmanes qu’il faudrait rapprocher des Amérindiens. Tant que les autorités refuseront de voir qu’il n’existe en France aucun groupe qui souhaite s’auto-exclure, et que les processus de repli communautaire sont les effets des politiques discriminatoires et racistes, la lutte contre le séparatisme telle qu’elle est annoncée ne fera que nourrir davantage de séparation ».
L’idée maintenant est de démontrer que, comme tellement souvent avec E.Macron, son discours est sur le fond une succession d’impostures. Nous en avons dénombré neuf.
Relevons avant que, sur la forme, le discours était de piètre qualité. Pour tout dire, E.Macron nous avait habitué à mieux : plus de panache dans les mots, plus de vista, plus de clarté, un style moins emprunté, moins emmêlé avec des « donc » utilisés à l’envi. Discours très peu gouleyant, avec beaucoup de phrases très emberlificotée comme :
« Sentiment aussi qu’il y a des parties de la République qui veulent se séparer du reste, qui, au fond, ne se retrouvent plus dans ces lois, dans ses codes, ses règles que nous avons une partie de notre population qui se sépare du reste, en tout cas qui considérant peut-être qu’on l’a fait vivre longtemps derrière des murs, décide d’en bâtir de nouveaux et de le faire, c’est pour ça que toutes les choses se mélangent souvent dans notre débat public, au titre d’une religion dont elle déforme les aspirations profondes et en faisant de cette religion un projet politique et au nom de l’islam ».
E.Macron use de termes et de définitions bizarres :
- Il utilise à plusieurs reprises le terme prédiquer: « Il y a ensuite, quand on parle des ingérences, des déstabilisations, le problème justement des lieux de culte et de celles et ceux qui prédiquent au nom d’une religion. » (on aura remarqué l’expression celles et ceux, car on sait que les imams sont très souvent des femmes… ). Le Larousse donne comme définition à ce terme prédiquer : « donner un prédicat à un syntagme nominal sujet, dire quelque chose à propos de celui-ci grâce à un prédicat », ce qui à vrai dire ne simplifie pas la compréhension. Pourquoi n’avoir pas utilisé le verbe prêcher ?
- Il confond étrangement civilité et citoyenneté: « Il y a ensuite ce que j’appellerai “la civilité”. C’est la manière d’être citoyen les uns avec les autres et donc, c’est la manière, en tant que citoyen, de respecter pleinement les règles de la République ».
- De la même façon, il confond visiblement autorité et autoritarisme : « Je refuse aussi une forme de stigmatisation qui consisterait à dire : “au fond, soyez quelqu’un de sérieux, soyez vraiment autoritaire. Dites-nous qu’il y a un problème avec l’islam en France. Ça soulagera tout le monde et ça ira mieux”». En continuant avec un énigmatique : « Je pense qu’on peut être fraternellement autoritaire dans notre pays ».
Au final, il fait porter une grande part de son propos et sa démonstration sur des chiffres un peu anecdotiques. Bourtzwiller n’est au final qu’une des 15 zones très spécifiques (sic) au sein des 47 quartiers de reconquête républicaine. Apprendre que « au total, si l’on prend l’ensemble de ces 15 territoires concernés par cette expérimentation menée depuis 2 ans, ce sont donc en 2 ans, 152 débits de boisson, 15 lieux de culte, 12 établissements culturels et sportifs, 4 écoles qui ont été fermés. 652 contrôles anti-fraude effectués, 34 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance qui ont été prises et Bourtzwiller en fait partie » alors que rien qu’à Bourtzwiller, on a fait passer l’effectif de la police de 7 à 22 personnes, y a-t-il vraiment de quoi s’extasier ?
Alors, petite forme ? Absence du nègre habituel ? Ou bien conséquence d’un empilement d’informulés, d’autocensure et finalement d’impostures ?