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Crise sanitaire, crise civilisationnelle (1), par Michel Maffesoli.

2263568875.jpegAu-delà de nos humeurs, craintes, convictions, réactions, consentement, toutes choses étant de l’ordre de l’opinion, il convient d’aller à l’essentiel. C’est-à-dire au-delà des apparences, ce que le poète nomme bellement « le clapotis des causes secondes », revenir à l’être des choses. En deçà des « médiations », de ces évidences déversées ad nauseam par l’intelligentsia, revenir à ce qui est immédiatement évident. Ce que la sagesse populaire a su formuler d’une manière lapidaire : tout passe, tout casse, tout lasse 

En la matière, fin d’une modernité en bout de course. Saturation d’un ensemble de valeurs de plus en plus désuètes.

Rappelons-nous, ici, une des étymologies du terme crise : krisis, comme le jugement porté par ce qui est en train de naître sur ce qui est en train de mourir. Cela, on l’oublie trop souvent, en réduisant la crise à son aspect économique. Simple dysfonctionnement de ce que mon regretté ami, Jean Baudrillard, nommait « la société de consommation », que quelques ajustements d’ordre politique ne manqueraient pas de corriger pour le plus grand bien de tous.

C’est ainsi que l’on peut comprendre la « crise sanitaire » comme la modalité d’une crise sociétale en cours, d’un changement de paradigme bien plus profond.

En d’autres termes, la crise sanitaire comme expression visible d’une dégénérescence invisible. Dégénérescence d’une civilisation ayant fait son temps. Civilisation dont le paradigme n’est plus reconnu. La matrice de l’être-ensemble est devenue inféconde.

Le rationalisme à courte vue peut concéder qu’il s’agit là d’une allégorie quelque peu mystérieuse, voire mystique. Mais l’Histoire ne manque pas d’exemples en ce sens. Il y en a même à foison. Je me contente de rappeler la grande peste corrélative de la fin de l’Empire romain. La fameuse peste « antonine », en 190, tout en causant des millions de morts marqua le début de la décadence romaine.

Et que dire de la « peste noire », appelée également « mort noire » qui, au XIVe siècle, fut corollaire de la fin du Moyen Âge ? La Renaissance devait lui succéder. Ce que les historiens nomment Black Death exprime bien le deuil qu’il convenait de faire vis-à-vis d’un ensemble de valeurs n’étant plus en adéquation avec un nouvel esprit du temps en gestation.

Terminons-en avec la métaphore. Mais voilà fort longtemps qu’avec quelques autres, tout en subissant les foudres d’une intelligentsia apeurée, je pointe, souligne, analyse la décadence de la modernité. La fin d’un monde n’étant plus défendu que par des castes fières de leur supériorité illusoire continuant à seriner leurs fallacieuses élucubrations. Il s’agit là d’une « société officielle » de plus en plus déconnectée de la vie réelle. Et donc incapable de voir la dégénérescence intellectuelle, politique dont les symptômes sont de plus en plus évidents.

Dégénérescence de quoi, sinon du mythe progressiste ? Je montrais, dès 1979, que corrélativement à l’idéologie du service public, ce progressisme s’employait à justifier la domination sur la nature, à négliger les lois primordiales de celle-ci et à construire un monde selon les seuls principes d’un rationalisme dont l’aspect morbide apparaît de plus en plus évident. La violence totalitaire d’un progressisme à la fois benêt et destructeur.

J’ai dit qu’il convenait de s’attacher à l’essentiel. Le point nodal de l’idéologie progressiste, c’est l’ambition, voire la prétention de tout résoudre, de tout améliorer afin d’aboutir à une société parfaite et à un homme potentiellement immortel.

Qu’on le sache ou non, la dialectique, thèse, antithèse, synthèse, est le mécanisme intellectuel dominant. Le concept hégélien de « dépassement » (Aufhebung) est le maître mot de la mythologie progressiste. C’est, stricto sensu, une conception du monde « dramatique », c’est-à-dire reposant sur la capacité à trouver une solution, une résolution à ce qui peut faire obstacle à la perfection à venir.

Il est une formule de Karl Marx qui résume bien une telle mythologie : chaque société ne se pose que les problèmes qu’elle peut résoudre. Ambition, prétention de tout maîtriser. C’est l’économie du salut ou l’histoire du salut d’obédience judéo-chrétienne qui, dans les grands systèmes socialisants du XIXe siècle, deviennent « profanes » et vont inspirer tous les programmes politiques, gauche et droite confondues.

C’est bien cette conception dramatique, donc optimiste, qui est en train de s’achever. Et, dans le balancement inexorable des histoires humaines, c’est « le sentiment du tragique de la vie » (Miguel de Unamuno) qui, à nouveau, tend à prévaloir. Le dramatique, je l’ai dit, est résolument optimiste. Le tragique est aporique, c’est-à-dire sans solution. La vie est ce qu’elle est.

Plutôt que de vouloir dominer la nature, on s’accorde à elle. Selon l’adage populaire, « on ne commande bien la nature qu’en lui obéissant ». La mort, dès lors, n’est plus ce que l’on pourra dépasser. Mais ce avec quoi il convient de s’accorder.

Voilà ce que rappelle, en majeur, la « crise sanitaire ». La mort pandémique est le symbole de la fin de l’optimisme propre au progressisme moderne. On peut le considérer comme une expression du mystique pressentiment que la fin d’une civilisation peut être une délivrance et, en son sens fort, l’indice d’une renaissance. « Index », ce qui pointe la continuité d’un vitalisme essentiel !

À suivre.

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