L’Histoire, l’Histoire, les faits, les dates et les interprétations. Et les reconstructions, les relectures, les personnages que l’on efface des photos, ceux qui apparaissent tardivement pour dire « J’y étais », les événements que l’on passe sous silence. Ainsi va l’Histoire, depuis toujours. L’Histoire, son processus et son procès.
L’Histoire retiendra qu’en ce samedi 28 mars 2020, onze jours après le début du confinement en France, le Premier ministre a voulu essayer d’effacer les accusations de retard, d’impréparation et de mensonges qui s’imposent de plus en plus dans l’esprit des Français devant l’ampleur de la catastrophe.
En effet, un sondage paru quasiment au moment où il parlait révélait que les Français éprouvent, désormais, une grande défiance vis-à-vis de l’exécutif et de sa gestion de la pandémie venue de Chine. Selon cette enquête Ipsos-Sopra Steria pour le CEVIPOF, l’exécutif a perdu 10 points dans la perception de sa gestion de la crise sanitaire : 56 % des Français sont insatisfaits, contre 46 % une semaine plus tôt ; les mesures prises pour lutter contre l’épidémie sont jugées insuffisantes par 59 % des sondés, contre 43 % ; et surtout 79 % des Français reprochent à l’exécutif d’avoir trop tardé à réagir.
C’est à ceux-là, à nous tous, qu’Édouard Philippe s’est donc adressé : « Je ne laisserai personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision du confinement. »
Mais les faits et les dates son têtus… Les chiffres de un milliard de masques, de 14.000 lits de réanimation annoncés ce soir sont là pour impressionner. Mais on sait bien que ce milliard de masques transportés par un pont aérien depuis la Chine ne rend que plus éclatantes leur absence cruelle depuis plusieurs semaines et notre dépendance vis-à-vis d’une superpuissance lointaine, hégémonique (il paraît que la Chine fait du chantage aux masques…) et totalitaire (disons enfin les choses que tous les élèves de terminale savent bien). Plus éclatante, aussi, l’absence de stocks qui n’ont plus été renouvelés depuis 2013, et encore durant les derniers mois.
Alors, pour le confinement ? Retard ou pas ? Primo, le gouvernement en est arrivé au confinement car il a raté toutes les étapes antérieures. Et en disant cela, Édouard Philippe confirme sans le dire qu’il y a bien eu retard pour les masques, les tests, la fermeture des frontières, ce qui fait beaucoup. Deuzio, ce confinement est survenu après une séquence incompréhensible : le jeudi 12 mars au soir, allocution solennelle d’Emmanuel Macron annonçant la fermeture des écoles, etc. ; le samedi 14, nouvelle allocution d’Édouard Philippe annonçant, pour minuit, la fermeture de tous les lieux publics, mais maintenant le premier tour des élections municipales le lendemain ! Puis la nouvelle allocution du lundi annonçant l’instauration du confinement pour le mardi 14 à 12 heures.
Si les questions de vie et de mort dans une épidémie sont affaire de jours, alors oui, de précieux jours ont été perdus, pour le confinement aussi.
Pire : depuis deux semaines, ce confinement est constamment enfreint avec les conséquences dramatiques que tout le monde sait – les intéressés eux-mêmes et le gouvernement – sans aucune réaction forte de la part de l’exécutif : le gouvernement laisse les maires se débrouiller avec les couvre-feux. Au moment où il parlait, c’était les policiers de Pau qui demandaient au préfet l’instauration du couvre-feu. Là encore, du temps a été perdu, des retards coupables ont été pris.
L’Histoire jugera. Les Français ont commencé à juger. Et le temps des juges viendra, aussi.
Mais une chose est sûre, ce Premier ministre, qui a trop laissé faire depuis des années, et encore ces dernières semaines, a eu tort de lancer à la face d’au moins 79 % des Français ce bravache « Je ne laisserai personne dire ». Nous dirons et redirons. Les faits, les dates, les responsables, les retards coupables.