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Volte-face présidentielle

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Il paraît que le président de la République a eu « une colère froide contre les experts autoproclamés ». Dénonçant « les voix qui vont en tous sens », il a tourné en dérision, aussi, « toutes celles et ceux qui avaient prévu tous les éléments de la crise une fois qu’elle a eu lieu. Les commentateurs en sont pleins. »

 n’a pas totalement tort avec cette charge vigoureuse ou ironique. La multitude d’experts que le coronavirus a révélée est en effet hallucinante. Heureusement, il y en a quelques-uns de compétents !

Mais le président de la République devrait se garder lui-même d’une double faute, quoique de gravité inégale.

La première, minime, consiste à juger partisans les avis ou les constats qui ne vont pas forcément dans son sens et à les frapper de suspicion.

Ainsi, il est mesquin de laisser entendre que le professeur Philippe Juvin serait plus dans les médias qu’au travail dans le service des urgences dont il est le chef à l’hôpital Pompidou. Pour moi qui écoute et lis toutes ses interventions, je n’ai jamais senti la moindre ambiguïté dans ses propos, ses analyses et ses conseils sur le Covid-19, entre le médecin ou le président de la fédération LR des Hauts-de-Seine. Sur le fond comme dans la forme, Philippe Juvin ne s’est jamais laissé aller à une opposition qui aurait dénaturé sa sérénité technique et professionnelle.

La seconde faute emporte des conséquences bien plus préjudiciables à la cause de la parole présidentielle et de sa légitimité. Emmanuel Macron oublie une exigence dont il a eu tort de se gausser. Elle est fondamentale. Celle du « en même temps ». Sa force, longtemps, serait-elle devenue sa faiblesse ?

Il est clair que, dans le passé – dorénavant, la césure sera avant ou après le coronavirus -, Emmanuel Macron a approuvé et favorisé des délocalisations de notre industrie au nom d’une mondialisation, sinon heureuse, du moins perçue comme inéluctable et sans qu’à un quelconque moment, l’anticipation politique ait prévu pour la France les ravages possibles d’une telle dépossession nationale.

La pénurie de masques FFP2 ou chirurgicaux a mis en pleine lumière les tragiques effets de cette dernière et ils ont été rendus encore plus insupportables par une communication publique, au moins à l’origine, dilatoire ou équivoque. Du genre : c’est un faux problème puisque les masques ne sont pas utiles pour tous, alors que la réalité de la pandémie a démontré le contraire.

Puis, le président de la République a opéré une volte complète puisqu’il en a appelé à la restauration de « notre souveraineté nationale et européenne »« à la force morale et à la volonté pour produire davantage en France et retrouver cette indépendance » – bref, relocaliser quand on avait délocalisé à outrance et mettre notre pays sur des rails qu’il n’aurait jamais dû quitter.

C’est un changement radical qui est à juste titre proposé. Notre Président a eu son « chemin de coronavirus » comme saint Paul a eu son chemin de Damas. Il a tout à fait le droit, sous l’emprise d’un dramatique réel qui montre les faiblesses d’une pénurie non pas subie mais trop longtemps organisée, de nous enjoindre – et de s’imposer à lui-même – un nouveau cap. Mais à condition que le « en même temps » le conduise sans fard à assumer sa responsabilité pour les défaillances, voire la faillite d’avant, et à soutenir qu’après, il cherchera le moins mal possible à rattraper, à compenser et à réparer les manques dus à des errements coupables.

Pour schématiser, notre autonomie industrielle, notamment sur le plan médical qui plus que tout autre aurait nécessité notre maîtrise nationale, a pourtant été confiée absurdement aux bons soins de la Chine !

On aurait attendu, de la part du Président, une sincérité éclatante et un mea culpa politique et social clair et sans faux-fuyant. Ils auraient donné un poids incomparable de vérité à son verbe multiplié de ces dernières semaines – je ne lui reproche pas d’être « martial », on n’aurait pas voulu qu’il soit mou ou mièvre ! – et amplifié la légitimité du pouvoir qui, par ailleurs, fait en effet ce qu’il peut.

L’honnêteté du « en même temps » était d’autant plus facile à assumer que personne n’aurait blâmé le Président pour cette révolution annoncée – si elle devient un jour effective -, tant elle résultait d’une réflexion et d’une contrainte qui n’avaient rien à voir avec un quelconque cynisme ou l’habitude des variations partisanes.

Mais tout avec la leçon impérieuse d’un malheur sanitaire, social et humain hors du commun et à appréhender comme tel.

Extrait de : Justice au Singulier

Philippe Bilger

https://www.bvoltaire.fr/volte-face-presidentielle/

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