Moins optimistes, à leur façon, que les nihilistes et autres révolutionnaires en peau de lapin qui espèrent, chaque jour, que le Grand Soir accouchera d’un Grand Matin, nos gloires internationales en semblent convaincues : l’Apocalypse est pour demain. Alors, à l’initiative de la gentille Juliette Binoche, actrice de grand talent et de grand cœur, ils lancent un grand cri d’alarme. Pas dans la gazette de Pont-Aven ou sur Boulevard Voltaire, bien sûr, mais dans Le Monde, le 6 mai. Parce qu’il faut que tout change, qu’ils disent. Donc Le Monde…
Il n’y a, là, que du beau linge, de Robert De Niro à Cate Blanchett en passant par Madonna, Adjani, Jane Fonda et la moitié d’Hollywood. Ils côtoient, dans la liste, des scientifiques de renom comme Aurélien Barrau, astrophysicien aux longs cheveux spécialiste des trous noirs (mais pas Cédric Villani, sans doute terrassé par sa gamelle au premier tour des municipales).
Ils sont 200, artistes et scientifiques, à appeler « solennellement les dirigeants et les citoyens à s’extraire de la logique intenable qui prévaut encore, pour travailler enfin à une refonte profonde des objectifs, des valeurs et des économies. La pandémie de Covid-19 est une tragédie », disent-ils, mais comme à toute chose malheur est bon, « cette crise, pourtant, a la vertu de nous inviter à faire face aux questions essentielles ». Acceptons-en donc l’augure. Mais ça urge : « Le bilan est simple : les “ajustements” ne suffisent plus, le problème est systémique. » Pas faux.
Alors, dans un court texte empreint de « collapsologie » – cette nouvelle philosophie décliniste inventée par Yves Cochet –, nos pétitionnaires l’assurent : « L’extinction massive de la vie sur Terre ne fait plus de doute et tous les indicateurs annoncent une menace existentielle directe. À la différence d’une pandémie, aussi grave soit-elle, il s’agit d’un effondrement global dont les conséquences seront sans commune mesure. »
Amis, si vous êtes croyants, vous savez ce qu’il vous reste à faire : passer à confesse et prendre rendez-vous pour les derniers sacrements.
En attendant ce jour funeste qui ne va pas manquer d’arriver, nos prophètes de malheur consensuel appellent « solennellement les dirigeants et les citoyens à s’extraire de la logique intenable qui prévaut encore, pour travailler enfin à une refonte profonde des objectifs, des valeurs et des économies ».
« Le consumérisme, déplorent-ils, nous a conduits à nier la vie en elle-même : celle des végétaux, celle des animaux et celle d’un grand nombre d’humains. La pollution, le réchauffement et la destruction des espaces naturels mènent le monde à un point de rupture. » Alors, « pour ces raisons, jointes aux inégalités sociales toujours croissantes, il nous semble inenvisageable de “revenir à la normale” ».
Faut-il vous le dire ? Michel Houellebecq n’a pas signé cette tribune proprette, gentillette et fort bien sous tout rapport. M’est avis qu’à la lire, il ricane en tirant sur sa clope, comme aurait ricané un Philippe Muray.
En effet, quand nos belles âmes écrivent que « la transformation radicale qui s’impose – à tous les niveaux – exige audace et courage et qu’elle n’aura pas lieu sans un engagement massif et déterminé » ; et quand les même s’interrogent : « À quand les actes ? C’est une question de survie, autant que de dignité et de cohérence », on a juste envie de leur poser, nous aussi, quelques questions. Et je distingue, ici, entre les scientifiques et les gens du spectacle :
– Êtes-vous prêts à renoncer à vos voyages interplanétaires ?
– Allez-vous dire adieu à vos tournées ou à vos films dont le budget vaut le PIB d’un pays du tiers-monde, sans parler de l’énergie gaspillée pour vos shows ?
– Allez-vous renoncer aux limousines, aux paillettes et, pour certains, à vos comptes offshore ?
Dignité et cohérence, c’est vous qui l’avez dit. Alors, chiche !
Marie Delarue