... Et la progressivité de l’impôt
Le populisme nécessaire, c'est aussi le retour à l'impôt progressif, par opposition à l'impôt proportionnel. Qu'il n'existe plus que cinq tranches d'impôts sur le revenu est une injustice majeure alors que les inégalités sociales explosent, et que les très riches sont de plus en plus riches. Que CSG et CRDS soient des impôts proportionnels est aussi totalement injuste. La progressivité de l'impôt est un principe intrinsèquement républicain. Il n’y a pas de République sans impôt progressif. Le bouclier fiscal créé par Chirac et Villepin, et amplifié par Sarkozy au profit des très riches, est une injustice quand l'argent des très riches n'est pas le fruit de leur travail mais provient de la financiarisation parasitaire ou encore de la dépravation du goût (les salaires des footballeurs ou des chanteurs par exemple). Le populisme nécessaire, dans le domaine fiscal comme dans les autres domaines, c'est le pouvoir donné au peuple travailleur d'ajuster les inégalités de revenus aux différences de compétences, d'engagement, d'énergie et de responsabilité dans le service rendu à la société. Le critère, c'est le service social. Personne ne conteste, dans le peuple travailleur, qu'il soit nécessaire et normal qu'un chirurgien soit mieux payé qu'un gardien de square. Mais même le second a droit de pouvoir vivre décemment de son travail.
Le populisme nécessaire, c'est garantir que chacun donne à la société en fonction de ses capacités et que personne ne connaisse la misère. Ce n'est pas l’égalitarisme c'est l'égalité des droits, c'est l'égalité des chances, c'est l'égalité d'accès à l'éducation et à la culture. Ce n'est jamais la discrimination positive - qui rompt le pacte républicain - mais c'est l'accès à des internats gratuits pour les enfants travailleurs et doués issus de milieux pauvres. Le populisme, c'est la méritocratie républicaine.
Ni culte de la croissance ni intégrisme écologiste
Le populisme, c'est aussi l'ambition d'ouvrir un nouvel « espace utopique ». Une utopie réaliste et concrète. Pas le meilleur des mondes mais un monde où le meilleur soit possible. Le populisme pour l'Europe, c'est la civilisation de la mesure. C'est la fin de la recherche de la croissance pour la croissance. Ce sont des objectifs « à taille d'homme », « à l'échelle humaine » disait Léon Blum, qui n'avait pas si tort, face aux démesures staliniennes et aux ivresses bolcheviques - et à leur prix de sang. Le populisme, c'est refuser le culte de la croissance dans lequel communient droite et gauche institutionnelles, sans pour autant tomber dans l'intégrisme écologiste qui, paradoxalement, renoue avec une vision prométhéenne de l'homme en lui donnant pour mission de « sauver la planète », de « rétablir les équilibres », en niant la légitimité et la fragilité inhérente à l'agir terrestre de l'homme. Le principe de précaution absolutisé, c'est encore une croyance qu'avec la science l'homme évitera toutes les erreurs.
Le populisme nécessaire, c'est en finir avec le productivisme sans se référer à la décroissance, terme ambigu qui peut laisser croire que « toujours moins » serait « toujours mieux ». Le populisme, c'est viser réellement le développement durable qui, au-delà des récupérations qui peuvent affecter tout concept, correspond à l'équilibre à trouver en Europe entre ambition collective - il n’y a pas de peuple sans ambition collective, sans visée créative pour les temps futurs - et refus de l’hybris, c'est-à-dire refus de la course en avant sans but, refus de la démesure, qu'il s'agisse par exemple du refus de l'architecture fanfaronne ou du refus d'une ville totalement aseptisée, muséifiée et sans liberté des usages et des inventions.
Le populisme nécessaire, c'est retrouver la fierté de la présence du peuple français dans les centres-villes, c'est imposer la décence commune dans les espaces publics, et pousser au retour à l'usage de la langue française dans ces espaces, c'est reconquérir ces espaces publics contre la privatisation de la politique et la privatisation de la société. Contre les communautarismes, c'est affirmer la communauté du peuple. Le populisme nécessaire, c'est, au nom de la pensée des droits de l'homme, qui vaut bien plus et mieux que son idéologie, dénoncer la segmentation de ces droits humains par la discrimination positive et notamment par la HALDE.
Le populisme nécessaire, c'est relocaliser l'économie. C'est, dans toute la mesure du possible, aller vers l'objectif de produire localement, pour les marchés locaux, avec des travailleurs locaux, de produire national pour le marché national, avec des travailleurs nationaux, de produire européen avec des Européens et d'abord pour le marché intérieur européen.
Ne pas confondre peuple et population
Le populisme nécessaire, c'est le refus des leçons données par le pouvoir "d'en-haut" ou par quelque "avant-garde" que ce soit. C'est, contre tous les communautarismes, réaffirmer la centralité du Peuple Constituant, constituant de la République et constituant de la Nation. En 1989, les Allemands de la RDA communiste clamaient : « Nous sommes le peuple » (Wir sind das Volk). C'était renouer avec l'esprit européen de 1848, la Nation se voulant le Peuple Constituant. Cela a été reproché aux Allemands. Déjà, en 1935, Bertolt Brecht avait défendu, de son point de vue, les vertus de la notion de population contre la notion de peuple. De fait, quand on parle de la population, on désigne simplement « les gens qui sont là », aujourd'hui, sur ce sol, comme la population d'un grand magasin, tel jour à telle heure. On conçoit que les "peuplophobes", nombreux et puissants, préfèrent parler de population plutôt que de peuple. La notion de population, avait remarqué Michel Foucault, s'oppose à celle de dépopulation. Le peuple, c'est autre chose. Ce n'est pas la populace, ce n'est pas simplement « le nombre », ce sont les travailleurs qui se reconnaissent dans ce pays, ce sont ceux qui partagent depuis longtemps les épreuves et les peines et les joies des enfants de France. « Il y a une bourgeoisie de gauche et une bourgeoisie de droite. Il n'y a pas de peuple de gauche ou de peuple de droite, il n'y a qu'un peuple » disait Bernanos.
Pierre Le Vigan Écrits de Paris N° 735 Octobre 2010