Le Père Yannik bonnet, connu pour ses livres sur l’entreprise et l'éducation( Les neuf fondamentaux de l'éducation) a développé sur la pédagogie une pensée originale, nourrie de son expérience de père de sept enfants, de professionnel de l’industrie et de directeur de grande école. Ordonné prêtre après le décès de sa femme, il s'est beaucoup investi pour les écoles hors contrat. Nous l’avons retrouvé dans sa "base arrière" de Carnac, pour l’interroger sur l’avenir de l’instruction en France.
Entretien avec le Père Yannik Bonnet
Père Bonnet, certains sont tentés de penser que la question de l'éducation et de l'instruction va être réglée. Le nouveau ministre, Jean-Michel Manquer a bonne presse... Qu'en pensez-vous ?
Je suis très sceptique, parce que jusqu'à présent, aucun ministre n’a pu faire bouger Grenelle. C'est une véritable institution, un État dans l'État. Cela n’empêche pas certains professeurs, y compris dans le public de mener leur classe à leur manière. Mais l'institution est figée dans une manière de ne pas faire réfléchir les enfants, de les gaver et non pas de les nourrir. Il y a une véritable révolution à faire dans l'Éducation nationale. Mais peut-on faire une révolution avec un système aussi massif ? Personnellement, je ne le crois pas. Mais alors il faudra mettre en place un contrôle de qualité (comme on le fait pour les voitures) pas du tout directif sur les méthodes, seulement sur le résultat.
Pensez-vous qu'on puisse aujourd'hui confier de gaieté de cœur les enfants à ces écoles en se disant qu'ils ont tout de même des chances de s'en sortir avec une tête bien faite ?
Je ne suis pas sûr qu'ils en aient beaucoup. Heureusement les êtres humains ont une capacité d'adaptation fantastique : sortis de l'école ils peuvent retomber sur des gens qui vont les aider à prendre du recul quant à un certain nombre de diktats. Il y a bien des élèves dans l’enseignement public, à mon avis, qui suivent les règles mais qui n en pensent pas moins, avec une liberté intérieure très grande.
Pour autant vous avez expliqué qu'on gave les enfants et qu'on ne leur apprend pas à réfléchir.
Ah oui ! Je crois que les programmes ne sont pas faits pour faire réfléchir, et en outre la formation des professeurs n’a pas été conduite pour en faire des « moniteurs » de l'éducation des enfants à la réflexion. Socrate a vraiment été extrêmement pédagogue : il a inventé le questionnement. Il y a eu des périodes de très grande culture en France, mais depuis la Révolution, j'ai l’impression qu’on a figé un certain nombre de choses, probablement parce qu’on n’avait pas envie d'avoir des gens ayant un vrai libre arbitre. Heureusement, la France a toujours eu une tradition de gens autonomes, avec une très grande indépendance d'esprit. Malgré tous les efforts qui ont été faits pour caporaliser cette population, il y a tous ces professeurs qui restent des gens fins, intelligents et qui font réfléchir les jeunes.
Le révolutionnaire aussi peut se mettre à questionner et à déstabiliser…
C'est sûr. La pédagogie est un moyen de faire réfléchir les gens, mais c'est aussi un moyen de les manipuler.
Vous avez beaucoup innové à l'École de chimie. De quoi s'agissait-il ?
J'ai voulu absolument que la troisième année il y ait déjà un vrai choix professionnel et non pas seulement un choix de cours. Autant les deux premières années sont faites pour donner des bases solides, autant la troisième est celle de la grande liberté du choix. J'ai voulu créer des liens avec des universités américaines en annonçant qu'après quelques mois ensemble, la troisième année pourrait se faire, pour chacun, dans le monde entier. Cela a tout changé.
L'école a donc un rôle pour faire découvrir les vocations ?
Oui. À l'École de chimie de Lyon c'était la deuxième chose importante : on a voulu qu en seconde année les élèves aillent en entreprise, dans trois domaines de leur choix pour vérifier une vocation éventuelle - la recherche, l'industrie elle-même à travers le génie chimique par exemple, ou le business dans la chimie, le technico-commercial. Nous avons même créé une « deuxième année-bis » en permettant aux élèves d'aller passer un an dans l’entreprise. Cela était complètement nouveau.
Ce type de démarche devrait-elle se concevoir dès le secondaire ?
« Aérez-vous les neurones et soyez curieux ! » Je pense que ce serait très utile de faire un peu d'alternance dès le secondaire. Par plus petits bouts peut-être un trimestre pour voir ce que c'est que la démarche commerciale, ou la démarche de réalisation industrielle.
Les Anglais offrent dès le secondaire la possibilité de faire des études très pointues dans des domaines qui intéressent les élèves. Est-ce une bonne chose ?
Oui. Je pense que si on continue à leur donner des bases générales dont on leur permet de faire une application hyper-pointue, cela leur montre les deux aspects de la connaissance humaine celle qui est plutôt généraliste - essayer de trouver des principes, des méthodes, etc. -, et celle qui au contraire se fixe un but très pointu avec cette imagination qu'il faut, et cette persévérance.
Que pensez-vous de cette obligation française du collège unique ?
Que c'est une grosse bourde. Le développement de l'intelligence des enfants est très variable. J'ai sept enfants on se rend bien compte qu'il y en a certains qu'il faut laisser galoper - ils pourraient faire le collège très rapidement - tandis que d'autres ont encore besoin d'acquérir des choses, voire de lier la théorie à la pratique. Il faut beaucoup regarder comment fonctionnent les élèves et essayer de faire des formules différentes sur le plan pédagogique. Ce sont les écoles sans contrat qui ont réussi à faire exploser cela - mais sur des pourcentages très faibles - en réalisant des choses tout à fait remarquables.
Beaucoup déjeunes en France souffrent d'avoir subi des méthodes globales et on sait bien que c'est dans les écoles hors contrat que ces méthodes sont combattues et remplacées par des méthodes qui fonctionnent. Pourtant ces écoles apparaissent comme des écoles pour privilégiés.
C'est bien pour cela que nous avons fait des bourses avec l'AES (Association éducation solidarité). J'ai eu ce même réflexe de me dire : il ne faudrait pas que ces écoles-là, comme elles sont à petits effectifs, deviennent des écoles hors de prix pour les gens moyens. L’AES donne des bourses à géométrie variable, en fonction des revenus, pour que des gosses de milieux modestes puissent entrer dans les écoles sans contrat.
Est-ce important justement qu'un maximum d'enfants entrent dans ces écoles?
Je crois que oui. On pourrait tout à fait libérer tout l’enseignement et donner une très grande capacité d'agir à ceux qui ont envie de développer un projet pédagogique particulier, en disant simplement : « Vous serez soumis à un contrôle de la qualité ».
Aujourd'hui l'État est quand même idéologiquement très engagé. Qu'attendre de ce contrôle ? Ne pourrait-on pas imaginer des circuits de diplômes parallèles ou une autre manière de sortir ? Je le pense fortement. Mais malheureusement, peut-être à cause de la Révolution française, il y a une espèce de croyance chez le peuple français qu'un diplôme d'État, c'est du béton. C'est complètement faux ! Il y a des diplômes d'État qui ne valent pas un cent de clous et il y a des gens, dans le privé, qui ont créé des diplômes reconnus grâce à l'efficacité de ceux qui les ont obtenus.
Que recommanderiez-vous aux parents qui voient leurs enfants en souffrance à l'école ?
Si j'ai favorisé la création de beaucoup d'écoles, c'est que le seul moyen, quand un gosse est en souffrance, c'est de le retirer du cycle normal, trop théorique. Beaucoup d'enfants apprennent mieux à partir du réel. Il faut toujours faire un va-et-vient entre la réalité et la théorie.
On arrive toujours à cette idée que l'individualisation de la pédagogie serait nécessaire.
Oui, le plus possible. Mon ancien maître de français et de grec, le Père Feder, a fait cela justement au collège en Lorraine après 1968. D a d'ailleurs écrit un livre qui s'appelle Un collège sans classes. Chez lui, il y avait des professeurs qui pouvaient de temps en temps faire une synthèse devant les enfants, mais qui étaient surtout, comme les Américains le pratiquent dans l’enseignement supérieur, des profs qui ont des « heures de bureau » chez qui l’élève peut venir toquer et dire qu'il n'a pas compris telle chose ou l'autre. Le père Feder a fait cela à Longwy, un endroit où il devait y avoir 23 ethnies différentes - des gens qui avaient travaillé dans les mines de fer ou dans la métallurgie, ce n’était pas pour une élite. L'Éducation nationale s'y est beaucoup intéressée. Le P Feder a fait un rapport à sa demande, l'Éducation nationale l'a pris, l'a lu avec intérêt, l'a stocké et ne l'a pas appliqué.
Vous avez toujours dit qu'il fallait développer les qualités et insister sur les points forts plutôt que de travailler sur les points faibles.
Je pense qu'il faut faire comme en sport où on sait très bien qu'il y a des choses que l'athlète ne pourra pas faire. On lui dit, dans ce domaine-là, de faire le minimum pour que ce ne soit pas un handicap et de développer au contraire ses points forts. À mon avis, dans la pédagogie, c'est ce qu'il faut faire. Dire tel domaine, ce ne sera jamais ton truc, voilà le minimum qu'il faut acquérir pour ne pas être une buse, pour bien situer ce type de connaissances dans ta tête. On n'est pas assez attentif comme l’étaient les pédagogues grecs anciens, à la nature propre de l'élève.
monde&vie novembre 2017 n°947
Le passé que j'ai eu m'aide beaucoup dans la pastorale à la fois dans les homélies - pour faire comprendre des choses basiques et claires - et dans le contact personnel, pour faire grandir spirituellement. Je pense qu'il faut être très à l’écoute de ce qu’est la personne. Les gens, même dans le domaine spirituel, ont tous des qualités différentes.
Propos recueillis par Jeanne Smits monde&vie novembre 2017 n°947
L'association AES fondée par le P Bonnet reçoit des dons avec reçu fiscal et répond aux demandes de bourse. Association Éducation Solidarité, 8 allée du Vignoble, CS 10007, 51726 Reims cedex, 09 66 94 20 69, www.aesmaisonst-michel.fr.