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« Les jugements de Cours vous feront blancs ou noirs »

Maître Frédéric Pichon avocat au Barreau de Paris, a été l’un des défenseurs qui a le plus souvent plaidé en faveur des manifestants anti-mariage pour tous. Il a bien voulu répondre à nos questions sur l'étrange pouvoir des juges.

Entretien par l'abbé G. de Tanoüarn

En tant qu'avocat de toutes les causes et parce que, comme chrétien, vous acceptez de défendre les clients les plus compromettants, je veux dire par exemple ceux qui sont politiquement incorrects, pensez-vous, cher Maître, que, dans certains domaines idéologiquement sensibles, la même loi puisse être appliquée de différentes manières selon les justiciables ? Auriez-vous des exemples à proposer ?

La question n'est pas nouvelle. En son temps La Fontaine pouvait déjà dire « Selon que vous serez puissants ou misérables, les jugements de cours vous feront blancs ou noirs ». Ces cours, ce ne sont pas des cours princières, ce sont des cours de justice, ce sont les tribunaux de l'époque que vise le fabuliste. Certes les juges sont impartiaux, par définition. Mais dans la réalité, tout dépend de quel côté vous vous trouvez. Aujourd'hui qu'ils soient de gauche ou de droite, les gouvernements subissent la pression du politiquement correct notamment par la voie de lobbies puissants (féministes, antiracistes, LGBT, etc.) Lorsque je soutenais il y a plus de 20 ans mon mémoire à l'école du Barreau sur le thème « La liberté d'expression et le respect des croyances religieuses », je relevais déjà l'incroyable inéquité entre les atteintes aux symboles chrétiens tolérés au nom de la laïcité, et la répression qui frappe les atteintes aux autres religions. Les choses n'ont pas changé depuis. Ainsi les Femen ont-elles été relaxées, alors qu'elles ont volontairement dégradé l'une des cloches de Notre Dame (photo) et dans le même temps un agent de sécurité de la cathédrale a été condamné pour violences, simplement parce qu'il a tenté de les expulser ! Dans le même registre, on a vu ces jeunes identitaires qui étaient montés sur le chantier en construction de la mosquée de Poitiers -mosquée appartenant à l'UOIF branche française des frères musulmans - condamnés, pour cela, à des peines de prison avec sursis, à une amende incroyablement élevée ainsi qu'à 5 ans d'interdiction civique. Je crains que les choses n'aillent en s'aggravant.

On a assisté ces dernières années à des événements désagréables, qui ne laissent pas d'inquiéter sur l'impartialité des juges, par exemple en 2013, la découverte du fameux « mur des cons » au siège du Syndicat de la Magistrature. Qu'est-ce que ça vous inspire, vous, en tant que défenseur de certains « cons » ?

Vous posez là la question de l'impartialité des juges. Or le syndicat de la magistrature issu de Mai 68 est un syndicat politisé qui revendique la partialité. L'un de ses représentants de l'époque Oswald Baudot écrivait dans les années 70 : « soyez partiaux. […] Faites pencher la balance d'un côté, la femme contre le mari, l'enfant contre le père, le débiteur contre le créancier, l'ouvrier contre le patron ». Ce raisonnement constitue évidemment l'antithèse de ce que doit être la justice, c'est-à-dire équitable, impartiale, au-dessus des passions humaines à l'image de Thémis, la divinité représentée avec les yeux bandés - symbole de l'impartialité et la balance, symbole d'équilibre.

En réalité, à travers le syndicat de la magistrature, c'est une mission politique et sociale que revendique la Justice, à l'image de tel jugement de la 17e chambre, concernant Anne Lauvergeon, alors présidente d'AREVA, à propos de sa fameuse formule, justifiant objectivement la discrimination au sein de son entreprise. À l'époque, elle expliquait : « À compétence égale, désolée, on choisira la femme ou on choisira la personne venant de… autre chose que le mâle blanc pour être claire ». Sa discrimination était, clairement raciale, mais elle avait été relaxée. Les choses ne vont pas aller en s'arrangeant. Le poisson pourrit par la tête, dit-on or les élites françaises sortent précisément de ces grandes écoles (ENM, ENA, Sciences po) fortement marquées par l'idéologie.

Il est amené à intervenir de plus en plus souvent à propos de questions sensibles comme le port du voile, l'interdiction du burkini ou l'interprétation de la loi de 1905... Quel est le rôle du Conseil d'État ? Quels sont les critères de ses jugements ? Comment expliquez-vous qu'il semble se prononcer toujours en faveur de la liberté des coutumes islamiques et contre les coutumes chrétiennes (comme la crèche de Béziers ou même l'érection d'une statue de Jean-Paul II surmontée d'une croix à Ploërmel) ?

Disons tout de suite qu'outre son rôle consultatif - il examine les projets de loi et ordonnances - le conseil d'État a une fonction juridictionnelle. Créée sous Bonaparte, il s'agit de la plus haute juridiction administrative.

Pour rentrer au conseil d'État directement, il faut avoir fait l'ENA, et par conséquent participer d'un fond commun idéologique, comme je viens de le dire à propos de la formation des élites et de leur déliquescence. Pour ce qui est du Conseil d'État, comme institution, il faut souligner que ceux qui n'y accèdent pas via l'ENA sont nommés par le gouvernement ce qui pose évidemment un problème d'indépendance. Pour répondre plus précisément à votre questionne donnerais un exemple on peut citer utilement les propos d'un membre éminent du Conseil d'État, Thierry Tuot, dans un rapport au Premier ministre Jean-Marc Ayrault. À l'époque - c'était en 2013 - il dénonçait notamment « la célébration d'un passé révolu d'une France chevrotante et confite dans des traditions imaginaires ». Dans ce même rapport, intitulé La Grande nation, Pour une société inclusive, il suggérait d'annuler la loi sur le voile, de donner aux rues des noms qui fassent échos à l'histoire des migrations, d'enseigner l'histoire de l'immigration, de faire étudier l'arabe à l'école, ainsi que les langues africaines, de régulariser les immigrés clandestins qui sont capables de prouver qu'ils vivent es France depuis plus de cinq ans, et enfin de créer un délit de harcèlement racial. Est-il besoin d'en dire plus ? Pour Thierry Tuot, point n'est besoin de s'intégrer, au sens culturel de ce terme. Dans sa France inclusive, il suffit de « s'inclure » économiquement. Pour lui, évidemment, puisque tout est affaire d'inclusion économique, il n'y a pas de question musulmane : « La question musulmane, écrit-il en 2013, est pure invention de ceux qui la posent ».

Le Conseil constitutionnel peut refuser de promulguer une loi votée par l'Assemblée nationale. N'assume-t-il pas volens nolens, une fonction idéologique de défenseur du libéralisme sociétal et de l'idéologie mondialiste ?

Précisons d'abord que le Conseil constitutionnel à la différence du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, n'a pas d'attribution juridictionnelle. En revanche, il est chargé de contrôler la conformité des lois à la constitution. Là encore - outre les anciens présidents de la République qui sont membres de droit -une partie de ses membres sont nommés par le président de la République et les présidents de chambres des assemblées parlementaires, ce qui pose évidemment des problèmes d'indépendance. Ainsi en 2003, malgré le « non » du peuple français au référendum sur le Traité européen, le Conseil constitutionnel n'a rien trouvé à redire face à la reprise du projet de constitution européenne dans des termes quasi identiques par le Traité de Lisbonne.

Au fil des années, le Conseil constitutionnel a par ailleurs développé une jurisprudence extensive, bénéficiant d'un élargissement de sa saisine contrairement à ce que souhaitait à l'origine le Général De Gaulle. Même s'il est perçu comme plutôt conservateur, en réalité, le conseil constitutionnel fait preuve d'un manque flagrant de courage concernant toutes les prétendues avancées sociétales. Face à ce raz de marée nihiliste, il ne faut pas compter sur lui pour jouer à Antigone. Il ne fera que valider les prétendues évolutions en cours.

Et qu'en est-il du Parquet National Financier ? Est-ce une institution fiable face à la corruption des politiques ?

Le PNF a été créé en 2013 pour lutter contre la grande délinquance économique et financière. Sa présidente, Élise Houette, avait été proposée par Christine Taubira, ministre de François Hollande. Nous avons vu pendant la présidentielle à quel point le PNF a été instrumentalisé par le pouvoir socialiste pour déstabiliser les adversaires d'Emmanuel Macron, Mme Le Pen et Monsieur Fillon. L'incroyable réactivité de ses services, pour perquisitionner un candidat déclaré au pouvoir, a été un scandale judiciaire et politique privant à mon sens cette institution de toute légitimité morale. Ayant de mon côté des dossiers pour des victimes d'infractions financières instruites par le PNF, je ne constate pas la même réactivité de ses services mais plutôt une obstruction. Je dois bien reconnaître dans le même temps que le PNF a abandonné des poursuites - moyennant une transaction de 300 millions d'euros - contre HSBC accusée de fraudes fiscales massives au profit de ses clients pour des montants estimés entre 13 et 5 milliards d'euros. Décidément, les choses n'ont pas changé depuis La Fontaine : « Selon que vous serez puissants ou misérables, les jugements de cours vous feront blancs ou noirs ».

monde&vie 18 janvier 2018 n°950

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