Jérôme Besnard est élu local et conseiller national du parti les Républicains. Il a travaillé comme collaborateur d'élus dans plusieurs villes concernées par une forte activité islamique. Il a également été chargé d'enseignement en droit constitutionnel à l'Université Paris V.
Entretien par l'abbé G. de Tanouarn
Si toutes les religions se valent, pourquoi accorder une place particulière à l'islam dans l'organisation religieuse de la France ?
Parce que justement toutes les religions ne sont pas égales dans notre pays, du moment que l'on fait un minimum abstraction du droit. Elles n'ont ni la même Histoire, ni le même poids, elles ne posent pas les mêmes problèmes au pouvoir temporel. Le christianisme s'accorde très bien de la laïcité envisagée comme distinction du temporel et du spirituel. Minorité se pensant comme une minorité, le judaïsme a accepté il y a déjà plus de deux siècles de se plier aux règles concordataires imposées par Napoléon. Religion qui a été la matrice de l'unité française à côté de l'œuvre politique des rois de France, le catholicisme continue de modeler le paysage français par ses églises et ses cathédrales. Il n'a cédé ses prérogatives que devant la force déployée par l'idéologie radical-socialiste sous la IIIe République. L'Islam lui, à la différence des deux autres est une religion d'importation et d'implantation récente liée un phénomène politique et économique l’immigration de masse.
Est-il vraiment nécessaire d'organiser l'islam en France ? Ne risque-t-on pas, comme le suggère d'ailleurs Emmanuel Macron, d'« accompagner son développement » ?
Organiser l'islam en France ne veut pas dire le financer ou le promouvoir. Nous y reviendrons. Cela signifie organiser son culte de façon représentative, l'encadrer légalement. C'est d'autant plus nécessaire qu'il n'existe pas de clergé à proprement parler en islam, sauf dans le chiisme iranien, libanais et bahreïni. Il faut partir du rée :l les diasporas, et mettre autour de la table l'Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Turquie. Les pays d'Afrique noire, eux, se sentent peu ou pas concernés. On peut le regretter mais c'est ainsi. N'oublions pas également l'islam autochtone de certains départements d'outremer : Mayotte, La Réunion… Faut-il que cette assemblée passe par un vote des fidèles comme l'avait souhaité Nicolas Sarkozy pour le CFCM ? Pas si sûr ? C'est le cas pour le judaïsme mais absolument pas pour les catholiques. La représentativité n'est pas forcement issue du jeu démocratique. La légitimité ne cède pas toujours à la loi du nombre.
On peut imaginer d'exiger des imams qu'ils se soumettent à un examen organisé par l'État, surtout s'ils sont étrangers. Ce sont des mesures de police élémentaires. Il faut responsabiliser les associations cultuelles musulmanes existantes. Avec à la clef la fermeture systématique des lieux de culte récalcitrant. Quitte à froisser la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) s'il le faut.
Il y a eu beaucoup d'essais d'organisation politique de l'islam : on se souvient de Sarkozy créant le CFCM. Force est de reconnaître l'échec des politiques... Force est de constater un décalage permanent entre leur discours et la réalité...
Les hommes politiques français se sont heurtés à plusieurs écueils. À commencer par le clientélisme qui fait qu'on ne peut plus gagner les élections municipales dans certaines villes de banlieue si l'on ne séduit pas
une partie de l'électorat musulman. Le deuxième écueil est de ne pas avoir voulu écarter voire dissoudre purement et simplement certaines mouvances islamistes à commencer par les Frères Musulmans (qui contrôlent l'UOIF si l'on en croît les spécialistes de la question) et les salafistes.
Faut-il que l'État subventionne l'islam de France pour empêcher des pays étrangers de construire en France un islam qui serait saoudien, turc ou algérien... Ne serait-ce pas là une politique de Gribouille ? Dans l'état actuel des finances publiques de l'État et des collectivités locales, la question ne se pose pas ou plus. Il sera difficile d'expliquer aux habitants d'une ville que l'on investit dans une mosquée plutôt que dans une piscine ! On peut néanmoins envisager créer des agences de pays ayant une diaspora significative en France, ce qui exclut bien entendu les pays du Golfe comme l'Arabie Saoudite ou le Qatar qui véhiculent un islam wahhabite très archaïque. Que le roi du Maroc, qui considère les Marocains vivant en France comme ses sujets, ait un droit de regard sur les mosquées fréquentées par ceux-ci n'est pas plus choquant que l'intérêt des autorités britanniques pour le culte anglican, même si le nombre de personnes concernées est très différent. Vis-à-vis des Turcs, il faudra évidemment mettre sur la table la question des liens entre le parti au pouvoir et les frères musulmans.
Le judaïsme est notamment financé par la taxe perçue sur la nourriture certifiée casher. Une taxe sur la nourriture hallal pourrait financer le culte musulman à condition bien entendu d'écarter toute commande publique de tels aliments puisque les collectivités ou l'État n'ont pas à financer le culte musulman. Taxer de façon sérieuse et certifiée le hallal, en plus de la TVA, le rendrait d'ailleurs peut-être moins attractif et moins visible dans les grandes surfaces… L'État peut encourager l'émergence de véritables organismes certificateurs sans mettre à mal la sacro-sainte laïcité. Un texte de lois et de mesures de simple police suffiraient là encore.
Quelles seraient, selon vous, les conditions d'une organisation réussie de l'islam de France ?
Pour réussir l'organisation de l'Islam de France, il faut accepter la solution d'un concordat qui fixera quelle est l'autorité chargée de réguler la pratique de cette religion dans notre pays. Pour le judaïsme, l'État traite avec le Consistoire central israélite de France, créé en 1908 pour le catholicisme, il traite directement avec le Vatican (sauf pendant la rupture de nos relations diplomatiques entre 1904 et 1921) ou encore la conférence des évêques de France, qui a succédé en 1964 à l'Assemblée des cardinaux et archevêques de France instituée en 1919 par le Saint-Siège. Il est grand temps de soumettre l'ouverture des mosquées et des salles de prières à un label délivré par une organisation représentative des communautés musulmanes non islamistes qui existent dans notre pays. Un label qui ne créera pas pour autant d'exception aux mesures d'ordre public édictées par l'État.
Pourquoi un tel retour au Concordat ? La loi de 1905 séparant les religions de l'État et faisant de la religion un droit du citoyen ne suffît donc pas ?
Cette fameuse loi de 1905 a été votée contre les catholiques et élaborée dans cette optique. Elle ne saurait donc être opérante vis-à-vis de toutes les religions. Elle ne cite que le catholicisme, le judaïsme et le protestantisme. Elle ne fut d'ailleurs pas appliquée à l'islam dans les départements français d'Algérie, entre 1905 et 1962, comme l'ont expressément mentionné les décrets d'applications. En Alsace-Moselle également, la loi héritée de l'Empire allemand ne vise que le catholicisme, les églises protestantes et les rabbins. La question de l'Islam mérite donc un texte spécifique répondant par exemple à l'absence de distinction entre le temporel et le spirituel dans cette religion. Il faut lui forcer la main et qu'il accepte un statut de religion minoritaire et qui aura vocation à le rester dans notre pays.
Quel est le rôle du christianisme en général, de l'Église catholique en particulier, dans cette affaire ?
L'Église catholique doit défendre ce qui lui revient de droit l'entretien par les communes des églises construites avant 1905, l'entretien des cathédrales par l'État, les contrats d'associations scolaires des écoles catholiques avec un maximum de libertés, les déductions fiscales liées aux dons des fidèles. Ces avantages lui confèrent de fait, par leur ampleur un statut spécial qui fait bien entendu se hérisser les cheveux des laïcards à défaut de ne plus être religion d'État, le catholicisme est la religion culturelle et historique de la France et elle doit le demeurer. À mon avis, mais cela n'engage que moi, elle a bien d'autres choses à faire que de se mêler des discussions entre les communautés islamiques de France et l'État.
monde&vie 8 mars 2018 n°952