La Sécu est malade ? Ce n'est pas grave, les Français cotiseront pour lui payer une réforme. Souhaitons seulement qu'il ne soit pas trop tard…
« Je suis allée trois fois chez la même cliente d'origine immigrée, qui était devenue obèse à force de s’empiffrer du matin au soir, raconte une infirmière libérale. Le première fois, je lui ai fait une piqûre pour soulager un mal de dos. La deuxième fois, elle s'était fait poser un anneau gastrique. La troisième fois, comme elle avait maigri et que sa peau pendait, elle avait eu recours à la chirurgie esthétique. Toutes ces interventions avaient été prises en charge par la CMU Etonnez-vous du déficit de la Sécurité sociale ! »
Selon les prévisions du Projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2011, le déficit du régime général atteindra en 2010 30,6 milliards d'euros, contre 23,5 milliards en 2009 et 10,2 milliards en 2008. Autrement dit, il aura triplé sur trois ans ! Encore ce chiffre ne prend-il pas en compte les 4,5 milliards de déficit du Fonds de solidarité vieillesse, qui fait monter l'addition à plus de 35 milliards en 2010. Cette progression n'est pas tenable. Ce devrait pourtant être pire en 2011 année où le budget de la Sécurité sociale devait atteindre l’équilibre, annonçait François Fillon… en mai 2008 ! Depuis, la crise est passée par là… Le PLFSS veut ainsi « distinguer au sein des 23,5 milliards d'euros de déficits 2009 une fraction de près de 65 % imputable à la crise économique. » Question : peut-on continuer à se fier à un système qui explose en cas de crise ?
La réforme des retraites qui a suscité tant d'oppositions et qui vient finalement d'être votée est insuffisante et devra être durement complétée avant 2020 - nul ne l'ignore, pas plus les syndicats que le gouvernement. Mais il ne s'agit que de la partie émergée de l'iceberg. Au déficit de la CNAV (caisse vieillesse du régime général), qui atteindra 10,7 milliards en 2010, s'ajoutent ceux de la CNAM (caisse maladie), qui s'élèvera à 14,6 milliards, et de la CNAF (branche famille) à 4,4 milliards. C'est de toute part que le rafiot de la Sécu prend l'eau.
Pour tenter de colmater les voies d'eau, le gouvernement veut faire la chasse aux « niches » sociales - c'est au goût du jour - et aux fraudes. « Entre 2006 et 2008, les fraudes détectées par les caisses de Sécurité sociales ont augmenté de 65 %, de 227 à 365 millions », se réjouissait en octobre 2009 Eric Woerth, alors ministre du budget, devant la Commission des comptes de la Sécurité sociale. Ce n’est pas avec ça que l’État comblera le déficit. Certes, les fraudes existent. Combien la Sécurité sociale en repère-t-elle sur l'ensemble ? Récemment, un Sénégalais possédant la nationalité française a été interpellé il est suspecté d’avoir fait, moyennant rémunération, au moins 55 fausses déclarations de paternité, moyennant finances. Les mères qui lui avaient donné ces enfants présumés étaient des Africaines en situation irrégulière, qui pouvaient par ce biais rester en France et percevoir les allocations familiales, de parent isolé, de rentrée scolaire, etc. Le préjudice annuel pour les organismes sociaux français est estimé à un million d'euros.
Se serait-on aperçu, en revanche, de la fraude aux allocations sociales à laquelle est pareillement soupçonné de s'être livré Lies Hebbadj, si l'une des épouses ou maîtresses de ce Français d'origine algérienne n'avait pas protesté après avoir été verbalisée par des policiers pour avoir conduit intégralement voilée ? 175 000 euros de prestations auraient été versés sur trois ans pour les 15 enfants qu'il a déclarés. Combien y a-t-il de Lies Hebbadj en France ?
Les syndicats se sucrent sur le système
Comment s étonner que l’on perde de vue la philosophie d'équité qui a présidé à l’établissement de la branche famille ? À l'origine, les allocations familiales devaient permettre aux familles françaises, qui rendent service à la société en élevant des enfants, de ne pas trop s'appauvrir. Aujourd'hui, elles ont pris l'aspect d'aides sociales, au même titre que les autres allocations qui s'y sont ajoutées. Cette mutation explique qu'un Jacques Attali propose de placer les « allocs » sous conditions de ressources, ce qui achèvera de supprimer le soutien aux familles françaises de la classe moyenne qui font encore des enfants. Il est d'autres fraudes que l'on évite de regarder de trop près. Ainsi, l'on apprend incidemment, par le mensuel Capital, qu'une trentaine de permanents syndicaux CGT sont payés par la mairie de Paris à travers une mutuelle complémentaire de la Ville, la MCVPAP Selon la municipalité socialiste, il ne s'agit pas d'emplois fictifs, mais de « décharges syndicales » instituées en 1948 nuance ! Reste que l'Inspection générale avait proposé dès 2005 de supprimer ces postes sans « véritable fondement juridique » qui avaient coûté plus d'un million d'euros en 1984. Les syndicats se « sucreraient » sur le système de protection social ? Les partenaires sociaux mangeraient sur la bête ? On n ose l'imaginer…
Qu'importe, puisque, comme le disait son professeur d'instruction civique à l'un de mes fils, en France, la médecine est gratuite ! Inutile de savoir, Couverture médicale universelle (CMU) complémentaire a versé, en 2008 près de 2 milliards d'euros à ses 4,2 millions de bénéficiaires. Ni que l'Aide médicale d’État (AME), dont bénéficient les étrangers résidant irrégulièrement en France depuis plus de 3 mois, s'est élevée la même année, selon le ministre de la Santé, à plus de 487 millions.
Les prélèvements sociaux qui apparaissent sur la feuille de paie des Français sont indolores. Il est vrai que certains sont fictifs : à savoir ceux des fonctionnaires et assimilés, qui se résument à des jeux d'écriture administratifs… ce qui leur permet d'échapper en fait au système de retraite par répartition : le montant de leurs retraites, financé par l'impôt, est garanti par l’État à 100 %, contrairement à celui des pensions des salariés du privé qui, dépendent des cotisations - et donc du nombre des causants - baisse. Nos députés en sont bien conscients, qui viennent de refuser d'aligner leur régime spécial sur le régime général. Es se sont battu comme des chiens pour aller à la gamelle, ce n’est pas pour la lâcher.
Nous n'avons pas voulu dresser dans ce dossier l'état des aberrations de notre système social - dix tomes n'y suffiraient pas - mais montrer comment nous en sommes arrivés là. Pour le réformer, il ne s'agit pas de renoncer à la solidarité, mais aux abus. Même si nos députés ne semblent pas prêts à donner l'exemple.
Eric Letty monde & vie 2 novembre 2010 n°834