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Richard Millet : « Nous sommes dans une guerre civile innommée » (texte de 2011)

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Richard Millet est romancier, mais pour lui, le roman, c'est la vérité toute nue. Dans cette perspective, dans cette inquiétude pour la vérité sur notre monde, dans cette angoisse devant un non-dit qui apparaît toujours à la fois comme le symptôme essentiel du mal et comme la cause… perdue, il vient de publier deux livres qui sont deux lectures du « désespoir contemporain ». Quel est ce mal être que nous sentons, mais auquel nous ne savons pas donner de nom, que nous échouons à décrire ? En bon analyste, c'est à travers le refoulé de la conscience contemporaine - l'immigration comme phénomène toujours latent mais toujours évité voire censuré - que Richard Millet tente d'argumenter son diagnostic. Peut-on encore s'exprimer sur l'immigration ? Le seul fait de parler de ce dont il ne faut pas parler représente plus qu'un livre; cette libération de la parole est un acte qui marque, avec le désespoir et l'impression de « toucher le fond », une espérance infracassable, qui est sans doute le dernier legs de la culture chrétienne lorsqu'elle semble disparaître. Dans Arguments pour un désespoir contemporain, Richard Millet donne un cours en cinq leçons. Dans Fatigue du sens, deuxième petit opus à la portée de tous, il laisse partir des fusées de mots pour décrire, pour tenter de définir le mal contemporain. Il nomme la guerre civile et l'exorcise en la nommant. GT

Entretien Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoüarn

Richard Millet, vous êtes un des rares romancier d'aujourd'hui dont on puisse dire d'ores et déjà qu'il est à la tête d'une œuvre. Et vous vous mêlez d'écrire sur les dysfonctionnements de notre société. N'y a-t-il pas contradiction ?

Richard Millet : Il se trouve que j'ai fait scandale en disant « Quand on s'appelle Ahmed à la troisième génération, on ne peut pas être français ». Mais je ne sors pas de mon travail d'écrivain en disant cela. Le travail d'un écrivain, c'est de nommer. J'ai des amis un peu tièdes qui disent : « S'il se contentait d'écrire des romans ! ». Mais pour moi, cela fait partie de ma démarche, qui passe par une lecture non fictionnelle de la société contemporaine. S'il y a des choses que l’on doit à tout prix éviter de nommer, alors autant aller planter des choux ! La tolérance n'est pas en cause regardez la Hollande, le Danemark, la Suède, ils ont des députés populistes, c'est-à-dire d'extrême droite. Et pourtant du point de vue sociétal, du point de vue des mœurs, ce sont les gens les plus tolérants du monde. Alors on crie, on pleure. Et on ne dit pas pourquoi. Ce pourquoi, c'est souvent l’immigration non contrôlée; notamment musulmane. Ce que je mets en cause, c'est l'idéologie qui mène au silence et qui ne peut déboucher que sur un oubli de tout ce que l'on est, un flottement dans le présent, consécutif à l'oubli de toutes les traditions et de toutes les mémoires et notamment de la nôtre.

Ne croyez-vous pas que vous risquez de faire une fixation sur cette question de l'immigration, en lui consacrant des ouvrages entiers ?

Une romancière m'a violemment attaqué en disant : « Il regarde la couleur des gens ». Je regarde l'autre en tant que tel. Cela ne signifie pas que je sois réductible à l'extrême droite ou que je sois raciste ! J'ai beaucoup discuté avec les élèves que j'ai eus. « Nous, monsieur, on n'est pas Français, on tient à rester Algérien ». Moi je tiens à rester Français et je ne crois pas à l'idéologie du métissage obligatoire. Je dirais : notre génération, au moins, elle a les moyens de la lire, cette idéologie. Mais les jeunes subissent un tel matraquage qu'ils ne comprennent plus ce qui est enjeu. Je n'ai rien contre l'immigré en tant que tel. En revanche, l'immigré, tel qu'il est instrumentalisé par la propagande, est une figure du nihilisme contemporain.

On ne peut pas dire que l'immigré ait le monopole du nihilisme...

Ce que je dénonce c'est une dialectique du pire, dans laquelle personne ne veut accepter l'autre. les uns ne veulent pas ou ne peuvent pas s'intégrer. Les autres se sentent pris dans la haine de soi (sur l'air bien connu : on est allé les envahir pendant 100 ans, c'est normal qu'ils viennent chez nous). Qu'est-ce qui se perd dans cette dialectique négative entre l'indigène et l'immigré ? C'est l'esprit de la nation. Je suis désespéré.

Nous sommes quelques esprits, les derniers encore libres, à pouvoir dire cela. Mais cette perte pourrait bien être irréparable. J'ai le sentiment de me battre pour l'honneur. Connaissez-vous ce petit fait divers autour des cloches de Sartrouville. La mairie a interdit aux cloches de sonner. En substance, voilà ce qui est arrivé : « Nous ne voulons pas de muezzin alors nous faisons taire la cloche ». C’est une expression abjecte de la soumission au politiquement correct : la menace, en face, on la voit mais c'est notre culture que l’on neutralise ou que l'on pénalise.

On vous a beaucoup reproché ce que l'on appelle une posture de votre part, celle du dernier écrivain...

Je ne prétends à aucun monopole et à a aucune posture ! Je veux rappeler que notre culture est une culture chrétienne. Et si je parle du dernier écrivain, c'est comme Nietzsche parle du « dernier homme ». La conviction de Nietzsche était que l'on a besoin de s'appuyer sur le désespoir pour toucher le fond. C'est vrai qu'il peut y avoir dans le désespoir du nouveau. Mais je ne le vois pas pour l'instant. Cela dit, je suis attentif à ce qui peut surgir de ce désespoir, ne serait-ce que tout ce qui montre que je ne suis pas seul. Pour l'instant, ce qui me touche, ce sont les premières réaction à ce livre Fatigue du sens, les gens qui déclarent : « Enfin, je vois écrit ce que je pensais ». Une lectrice m'a dit : « Avant de vous lire, je croyais devenir folle ». Il y a un bouche à oreille qui se met en place. Il est très difficile de se représenter un élément d'espoir face à la grande entreprise nihiliste. Ces réactions sont comme des signes que quelque chose va se produire.

Mais la situation, reconnaissons-le, est particulièrement opaque. On n'est plus dans le même monde que Soljénitsyne par exemple. Lui s'attaquait à quelque chose de reconnaissable, d'identifiable. Nous faisons face à un contexte protéifonne, mouvant, qui peut paraître extrêmement sympathique, mais qui a l'appareil judiciaire derrière lui. Nous sommes dans une guerre civile innommée.

Qu'est-ce qui vous a fait entrer en résistance ?

Je n'ai jamais milité pour quoi que ce soit, je ne suis inscrit dans aucun parti politique. Ma démarche est personnelle. Je m'appuie sur mes lectures… Le mensonge général devant lequel on se trouve, cette déformation systématique de la réalité, Guy Debord appelait cela le spectaculaire. Il nous a appris à ne pas nous laisser impressionner par le spectaculaire. Jean Baudrillard prolonge en quelque sorte le regard de Debord sur le spectaculaire. Dans Cool memories, quand il nous explique par exemple que « la Guerre du Golfe n’a pas eu lieu », on voit bien qu'il n'est pas dupe, lui non plus, de ce qui paraît. Dans ce registre ma dernière découverte est Jean-Claude Michea, un orwellien, qui explique le fonctionnement de notre société.

Avez-vous eu d'autres référants pour construire cette vision du monde qui se dégage de Fatigue du sens ?

J'ai lu René Girard, La violence et le sacré. J'avais 20 ans.

C'est un livre qui a beaucoup compté pour moi, parce qu'il m’a donné, à moi lecteur de Nietzsche, une clé : la victime émissaire. Je me suis beaucoup intéressé parallèlement à Georges Bataille, à la question de la-part maudite. J'ai compris que la société ne peut survivre qu'en sacrifiant quelque chose de matériel. C'est le principe de la dépense somptuaire la société n'est pas le produit d'un calcul. Elle ne peut survivre que par le don.

Et aujourd'hui..

Aujourd'hui, comme dit Michea, en examinant la question libérale, il y a deux instances. le Marché et le droit. Voilà à quoi se réduit notre magnifique démocratie on ne peut agir sur rien. Ce sont les marchés qui gouvernent le monde. Pas là peine de nous faire croire autre chose ! Et, du coup, le politiquement correct a pris la relève des valeurs chrétiennes. Voyez l’anti-modèle américain puisqu'il y a mondialisation économique, l'obstacle ce sont les nations, les langues, les religions. Elles gênent ce que nous voulons la libre circulation des marchandises, mais aussi des hommes. Voilà le Marché. Et face au Marché, il y a des récalcitrants ? Pour régler la question des récalcitrants, vous avez le droit En France ce sont les Lois Gayssot ou feu la Halde. Ceux qui veulent résister sont littéralement coincés entre ces deux instances.

C'est à partir de ce cadre que vous écrivez vos pamphlets ?

Ce ne sont pas des pamphlets. Le pamphlet déforme. Pour moi, je ne cherche pas à politiser les choses. Je fais une lecture du réel, qui se dérobe derrière toutes sortes de simulacres comme disait Baudrillard. Et c'est cette lecture du réel qui me fait dire que l'immigration extra-européenne est le problème majeur de l'Europe, notamment dans sa composante musulmane. Cette composante musulmane révèle plus que toute autre nos propres blocages par rapport à nous-mêmes. On veut nous faire croire que nous vivons dans un paradis social, intellectuel et même spirituel. Lire le réel, c'est faire voler en éclat le mensonge entretenu sur nous-mêmes.

Comment caractériseriez-vous ce mensonge en un mot ?

Lorsque l'on fait de « l'humanité » le concept politique ultime, selon la formule de Pierre Manent, on tombe dans une sorte de phobie de l'autre. L'idéal c'est l'indifférencié. Et on s'y perd soi-même. Voilà ce que j'ai appelé « la fatigue du sens ». Il n'y a rien que je haïsse avec autant de constance que le monde contemporain, ce monde où l'on peut constater tous les jours cette « fatigue du sens ».

Permettez-moi pour conclure cet entretien et donner envie au lecteur de découvrir la fulgurance de ce petit ouvrage de quitter la forme orale de l'entretien et de citer l'un ou l'autre des aphorismes qui, selon moi, définissent le mieux cette tentative de description d'une vérité volontairement cachée et cette haine du monde comme « contemporain » qui est la vôtre : « Ce n’est plus l'homme que nous voyons, c'est le réel ou l'homme advient comme simulacre, l'immigration étant l'un des noms de cette dégradation qui fait de l'homme un produit biodégradable au cœur d'un Marché où l'original (la vie elle-même) s’est perdu ». Et encore « Je mets dans le même sac les immigrés qui méprisent ouvertement la culture française et ces Français de souche dont l'ignorance a contribué à faire basculer cette culture dans le Culturel, autrement dit dans le relativisme américain ».

Merci, Richard Millet, d'avoir accepté de parler aux lecteurs de Monde et Vie. Merci avant tout pour cette écriture somptueuse, qui nous fait pressentir quelque chose de la vérité de notre condition contemporaine

À lire sans tarder :

Richard Millet, Fatigue du sens, éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2011 162 pp., 16 euros.

monde&vie 17 septembre 2011 n°848

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