L'auteur du Meilleur des mondes a voulu mourir euthanasie au LSD. Il a lui-même prescrit la dose
On peut lire et relire Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley (1931) sans s'ennuyer, tant cette anticipation a quelque chose de prophétique. Aldous Huxley a-t-il vu à l'avance notre monde ?
Aldous Huxley est né dans une famille de haute culture. Son grand-père Thomas, était l'un des assistants de Darwin. On l'appelait son « bouledogue » à cause de sa fidélité sourcilleuse à l'intuition évolutionniste. Son frère Julian est lui aussi biologiste. Il s'illustre par ses théories sur l'eugénisme. Autant dire que les réflexions sur l'homme et son avenir constituent un véritable fonds familial. Quant à la littérature, on peut dire qu'elle est aussi un bien de famille, puisque son père, Léonard, est romancier et que sa mère, Julia, est aussi passionnée de littérature. Cela explique avec quelle spontanéité, toute sa vie, Aldous Huxley citera Shakespeare, considéré comme le symbole de la culture anglaise.
À voir le pedigree de notre « client », on peut peut-être se demander ce qui fait que l'on parle encore aujourd'hui de ce pur produit de la culture britannique, alors que toutes les données de notre univers ont changé ? L'originalité d'Aldous, écrivant en 1931 Le meilleur des mondes, comme une sorte d'anticipation de ce que nous pourrions vivre, c'est, en tentant de relativiser la culpabilité du Parti communiste stalinien d'Union soviétique, d'inventer un autre mode de totalitarisme, celui qui doit fleurir dans nos sociétés technologiques, au nom de l'Ordre. Pour lui, d'ailleurs, à cet égard, le nazisme est plus significatif, plus moderne que le communisme. « À son point de vue, et au niveau où il avait décidé d'accomplir son horrible besogne, Hitler avait fait une estimation parfaitement juste de la nature humaine. Mais, pour ceux d'entre nous qui considèrent les hommes et les femmes comme des individualités non comme des membres défoules ou de collectivités enrégimentées, il paraît s'être hideusement trompé ». Combien de temps encore pourrons-nous considérer les hommes et les femmes comme des individualités libres de leur destinée, libres de donner la vie, libres de poser des jugements sur le monde qui les entoure ?
Un bonheur incompatible avec la liberté
Certes, avec le Mur de Berlin, c'est une forme de totalitarisme qui s'est écroulé définitivement. L'histoire ne reviendra pas en arrière. Mais le vrai projet totalitaire demeure et il n'est malheureusement pas obsolète. Huxley y reviendra en 1961 à la California médical School of San Francisco pour lui, le but de l'organisation politique moderne est de priver les gens de leur liberté pour leur plus grande satisfaction. « Il y aura dès la prochaine génération une méthode pharmaceutique pour faire aimer aux gens leur propre servitude, et créer une dictature sans larmes, pour ainsi dire, en réalisant des camps de concentration sans douleur pour des sociétés entières, de sorte que les gens se verront privés de leurs libertés, mais en ressentiront plutôt du plaisir ». Ce qui fait l'originalité de ce meilleur des mondes, intitulé de façon shakespearienne Brave new world, selon une expression emprunté à La Tempête, c'est que ses promoteurs tiennent pour incompatibles le bonheur et la liberté. Si vous voulez faire le bonheur des peuples, il faut leur donner « communauté, identité, stabilité » selon la devise de ce brave petit monde, autant de valeurs que la liberté personnelle interdit.
La stabilité nécessaire au bonheur ne peut être obtenue qu'au terme d'un véritable conditionnement politique. Le Meilleur des mondes est un monde dans lequel on acquiert des réflexes conditionnés dans la plus tendre enfance, par la méthode de l'hypnopédie (l'éducation pendant le sommeil) et personne ne remettra en cause ce premier conditionnement, d'autant plus que la vie est facile dans ce Brave new world : « Pas d'effort excessif de l'esprit et des muscles. Sept heures et demie d'un travail léger, nullement épuisant, et ensuite la ration de soma [pilule du bonheur], les sports, la copulation sans restriction et le Cinéma sentant », dans lequel chacun ressent ce que vivent les personnages à l'écran un éternel bonheur. Une euphorie obligatoire, à base de drogue et de sexe.
Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, coll. Press Pocket.
Joël Prieur monde&vie 19 mars 2013 n°873