[La Perse résiste à mille ans d'invasion]
L'assimilation est liée à la résilience des sociétés d'accueil. La résilience communautaire désigne en effet la capacité d'une communauté de continuer à vivre et s'épanouir après un traumatisme ou une catastrophe. Cette qualité repose sur le comportement des élites. Celles-ci peuvent être amenées à faire des concessions afin de canaliser la vitalité-agressivité extérieure. Elles peuvent également engager une politique interne de revitalisation afin d'éviter la submersion de la civilisation dont elles ont la responsabilité. Cette résilience permet à la Chine de digérer les envahisseurs mongols, mais le meilleur exemple est celui de la Perse, qui résiste ainsi à presque mille ans d'invasions. Ces neuf siècles de domination étrangère obligent l'aristocratie persane à mettre au point des modes très sophistiqués de négociation afin d'assurer sa propre survie politique. La Perse va d'ailleurs puiser sa résilience culturelle dans sa langue et sa poésie.
La conversion des conquérants demeure la façon la plus efficace d'assurer la perpétuation des civilisations d'accueil. Ici encore, le rôle des élites s'avère décisif. La conversion de Clovis et avec lui des Francs au catholicisme de Nicée tient à la fois à l'action résolue de l'épiscopat gallo-romain et à la méfiance de Clovis envers les Barbares installés avant lui en Gaule. De même, la conversion de Rollon au catholicisme aide les Normands à se fondre dans la population.
Les migrations peuvent enfin stimuler la croissance des États. En Egypte sous le Moyen Empire (-2033 à -1786), des colons asiatiques prennent peu à peu le contrôle de la région du delta et finissent par monter sur le trône d'Egypte, sous le nom d'Hyksôs. Les Hyksôs s'infiltrent au sein de différents groupes, notamment sémites, mais sont perçus comme de détestables envahisseurs. L'agression des Hyksôs génère néanmoins une réaction puisque ceux-ci sont finalement chassés d’Égypte et toutes les traces de leur occupation détruites. Les pharaons du Nouvel Empire instaurent alors une période de prospérité sans précédent en sécurisant leurs frontières et en renforçant les liens diplomatiques avec leurs voisins. En fin de compte, l'invasion hyksôs a généré une riposte politique : la restauration de l'État égyptien.
Une évolution similaire s'observe lors de l'agression de l'arrière-garde teutonne des Barbares du Nord européen, tenus en réserve en Scandinavie. En fin de compte, la pression Scandinave sur la côte océanique de la chrétienté occidentale a pour résultat la fusion du royaume d'Angleterre en un seul bloc, mais aussi l'organisation du royaume de France sous les Capétiens. Le choix des capitales française et anglaise en témoigne. L'Angleterre fonde sa capitale, non pas en choisissant Winchester, ancien centre du Wessex à l'intérieur des bornes de l'Ouest gallois et comparativement écarté du danger Scandinave, mais Londres qui a supporté le poids de la lutte. D'une manière similaire, la France fonde sa capitale, non pas à Laon, siège des derniers carolingiens, mais à Paris qui avait été au plus fort de la mêlée sous le père du premier roi capétien.
En somme, la perpétuation d'une civilisation soumise à une migration de masse repose donc sur trois critères essentiels. Le premier a trait à la vitalité-agressivité des populations migrantes, cette donnée comptant davantage que leur proportion dans la population d'accueil. Le second critère est lié au courage et à l'imagination des élites. Le troisième critère enfin dépend de la vitalité-morbidité de la civilisation d'accueil.
Celle-ci fut suffisamment forte en France au IXe siècle, pour que le choc agressif des Vikings ait été canalisé au profit d'un mélange constructif. Il est en outre à noter que la capacité à absorber les chocs migratoires a été facilitée par des mesures visant à augmenter la résilience des populations soumises aux migrations. Dans ce cadre, les armées, qui se présentent comme le conservatoire de la résilience, ont joué un rôle capital. Cette clé est essentielle. Sans elle, les royaumes d'Occident se seraient effondrés avant l'aube de la modernité.
À lire Olivier Hanne et Thomas Flichy de La Neuville, Géoculture, plaidoyer pour une civilisation durable, Lavauzelle Graphie, 116 p.
Thomas Flichy de La Neuville éléments N°158 janvier-février 2016