Lilian Thuram est décidément un homme complet. Déjà footballeur de grand talent, le voilà désormais philosophe de haute volée ; comme quoi la filière sport-études mène à tout. Ainsi, interrogé par Le Monde, le 1er décembre, affirme-t-il : « On ne naît pas Blanc, on le devient. » Car, poursuit-il, « pour ne pas avoir conscience qu’il y a un privilège blanc, il faut être blanc ». Lilian Thuram, qui a manifestement compris tout ça dans son nouveau livre, La Pensée blanche, serait-il donc devenu « blanc », fût-ce à l’insu de son plein gré ? Le raisonnement, quant à lui, est obscur.
Pourtant, prétend-il, « ceux qui n’acceptent pas cette idée comparent souvent le quotidien d’un Blanc pauvre à celui d’un Noir riche pour dire qu’il n’y a pas de privilège blanc. […] Car, être blanc comme être noir, n’est pas une réalité, mais une perception. » Il n’y a pas à dire, le dopage continue de faire des ravages dans le milieu du ballon rond.
La journaliste, qui peine manifestement à suivre, lui demande ensuite : « En affirmant qu’il y a une pensée blanche, en lieu et place d’une pensée raciste, n’y a-t-il pas un risque ? » Il y a donc là concept dans le concept. Explication : « Ce serait le cas si l’on parlait de la pensée des Blancs et non de la pensée blanche. Mais la pensée blanche n’est pas la pensée des Blancs. C’est une pensée qui est devenue une norme mondiale et qui peut aussi être celle de non-Blancs qui estiment qu’être blanc, c’est mieux. » Au risque de sombrer dans le racisme anti-Schtroumpf, on ajoutera que tout cela n’est pas blanc-bleu.
Une fois traduit du Thuram en français, doit-on en déduire que, pour lui, la pensée dominante serait le fait des classes du même nom ? Ça y ressemble : « Tous les systèmes politiques liés à la racialisation ont été forgés par une élite intellectuelle, financière et politique. Le système esclavagiste n’a pas été élaboré par les paysans français, ni la colonisation par les ouvriers. » Là, notre champion du monde fait mine de redécouvrir le bidon de deux litres : les systèmes idéologiques, quels qu’ils soient, ont toujours été le fait des classes éduquées et on n’a jamais entendu dire que la démocratie athénienne ait été théorisée par un gardien de chèvres.
On remarquera, au passage, que ces arguments vont à l’encontre de son propos, puisque partant d’une lutte des races, Lilian Thuram en arrive à celle des classes, oubliant encore que l’esclavagisme interne à l’Afrique était le fait de Noirs dominants et de Noirs dominés. De plus, si le fait qu’être Blanc ou Noir ne relève que de la simple « perception », cela signifierait que les races n’existent pas, tel qu’il le suggère, et qu’il n’y a donc pas lieu de se montrer raciste ou antiraciste. En termes footballistiques, voilà qui s’appelle marquer un but contre son propre camp.
C’est cette même dialectique, manifestement influencée par les penseurs shadoks, qui lui faisait dire naguère : « Je me demandais pourquoi la couleur blanche est associée au bien et la couleur noire au mal. » Certes, mais alors, pourquoi évoquer l’ange de lumière à propos de Lucifer ? Une nuit blanche quand on a mal dormi, même si cette dernière peut être propice à de noires pensées ? Un stade noir de monde ne serait-il pas une bonne nouvelle pour l’athlète qu’il est ? D’ailleurs, et ce, quant à demeurer dans les considérations de colorimétrie, Lilian Thuram, qui a l’épiderme marron, ne devrait pas se sentir concerné plus que ça par la noiritude…
Mais laissons conclure notre philosophe en short et crampons : « Il y a une condition blanche, de la même manière qu’il y a une condition noire ou une condition féminine. » Ce qui nous amène à Karine Le Marchand, journaliste qui partagea un temps sa vie avant de porter plainte contre lui pour violences conjugales (plainte qu’elle a, par la suite, retirée tout en maintenant que les faits avaient bien eu lieu). Là, Lilian Thuram a plus que raison. On ne naît pas femme noire et battue, on le devient.