David Foubert est vigneron bio. Comme il y a des vendanges tardives, il y a des vocations tardives : il s'est installé à 40 ans et vit son travail comme une passion. Il fait un vin qui est donc le fruit de sa passion : du fruit en barre, cette cuvé saumuroise de son domaine, La Folle Berthe… J'ai dégusté ! Et je dois dire que le bio, en vin, je suis conquise !
Entretien avec David Foubert, vigneron bio
Monde&Vie : On ne voit pas les vignerons manifester en ce moment : contrairement aux éleveurs de porcs ou aux producteurs de lait, vous êtes heureux ?
David Foubert : À titre personnel, oui ! Pour la filière viticole, c'est beaucoup plus mesuré. Elle subit en fait deux tendances contradictoires comme l'ensemble de l'agriculture. D'une part, une tendance à l'hyper-concentration des terres qui se termine par une dépossession complète : les exploitations deviennent tellement grandes que seuls des grands groupes financiers ou des investisseurs peuvent acheter la terre. En Anjou, des domaines avoisinent les 100 hectares. Multipliez par 20 ou 60 000 euros l'hectare, cela vous donne une idée de l'investissement nécessaire (hors chai, matériel, etc.). À Sauterne par exemple, la plupart des domaines appartiennent aux groupes du CAC 40 et c'est une tendance qui arrive également sur les bords de Loire. Autant dire que, dans cette perspective d'hyper-concentration, s'installer devient vraiment improbable pour un jeune.
Mais il y a aussi une deuxième tendance, à laquelle j'appartiens. Elle s'inscrit dans une approche contraire tout sauf la concentration. On vise plutôt une installation sur une petite surface qui permet de travailler sereinement et de faire de la qualité.
Justement, on parle beaucoup de la qualité française à l'occasion du Salon.
Certes. Là encore, la réalité recouvre des situations vraiment différentes voire contradictoires. Lorsque j'entends la FNSEA parler de qualité française en incluant certains céréaliers dont les blés ne sont plus capables de faire du pain, comme l'explique Claude Bourguignon(1), on se demande de quoi l'on parle. Si l'on accepte de regarder la situation en face, le plus souvent, les sols se sont appauvris quand ils ne sont pas morts les aliments que nous consommons ont une qualité nutritive qui peut être 70 % moindre qu'il y a quarante ans… Vous n'aurez aucun mal à relier cela à la malbouffe ou à l'explosion des cancers.
De quelle qualité parle-t-on quand on retrouve 14 résidus de pesticides dans un vin fini comme le Mouton Cadet 2010 ?(2) Pire, certains produits interdits en Europe ont été détectés lors de cette enquête… Le récent reportage de Cash Investigation a également montré du doigt notre filière avec… 35 résidus de pesticides dans les cheveux d'un gamin dont l'école jouxte des vignes cultivées en chimie.
Pour la viticulture française, c'est vrai, la qualité a augmenté ces dernières années. Terminé le tout chimie des années 70 et 80 où la consommation de vin rimait souvent avec mal de tête, à cause notamment de doses de soufre hallucinantes, sous prétexte de sécurité alimentaire. Mais la qualité française ce n'est pas - pour moi - de chercher à faire des vins pas cher et buvable pour concurrencer les vins du nouveau monde. À ce jeu là - qui est celui de la filière officielle - nous avons déjà perdu. La qualité viticole française, ce sont ses terroirs. Sur le sujet, comme le rappelle Nicolas Joly, vigneron en biodynamie à Savennières, nous avons 900 ans d'avance nos cépages sont adaptés à nos sols et le succès des vins bio français à l'international est là pour le prouver. Mais, pour boucler la boucle, il n'y a pas de vin de terroir avec l'utilisation de pesticides lorsque les sols sont morts, comment peut-on parler de terroir ?
L'avenir est au bio ?
Évidemment ! C'est une tendance lourde car, non seulement c'est une demande des consommateurs, mais c'est la vocation même de l'agriculture produire des éléments consommables, c'est-à-dire sains et bons. Malheureusement, en France, la filière bio est peu soutenue. Il y a bien quelques subventions et un discours politiquement correct sur l'écologie. Mais dans les faits, les normes écologiques sont imposées - et heureusement - par l'Europe. En France, vous avez des institutionnels qui paradent, parlent de « responsabilité » ou de « développement durable », et qui, sur leurs exploitations... désherbent leur vigne totalement en expliquant en petits comités « qu'ils nous font chier avec l'écologie » et qu'« on les empêche de travailler ». Mais de qui se moque-t-on ? Les choses évoluent lentement : nous sommes arrivés à… 4% de la surface agricole. Mais, en surface, lorsque 7 s'installent en bio sur 5 hectares, que pèsent-ils face à ceux qui en exploitent 100 ? Il y en a ici qui en exploitent plus de 800.
Vous avez pourtant réussi à vous installer il y a deux ans à l'âge de quarante ans ?
Oui grâce à la formidable entraide d'autres vignerons. Il existe des réseaux informels pour faciliter l'installation : pas de discours, des actes pour se réapproprier la terre et éviter qu'elle ne se concentre dans les mains de la finance et un amour véritable des terroirs et de leur spécificité.
Avec un peu de bon sens, il est facile de comprendre que l'avenir du marché du travail est agricole. Terminé de s'entasser dans des bureaux, assis toute la journee devant des écrans lumineux : c'est un esclavage comme l'histoire n'en a jamais connu ! Tu m'étonnes que la consommation d'anxiolytique, de calmant et de je ne sais quelle poudre de perlimpinpin explose ! Terminée aussi la vie d'exploitant agricole (quelle horreur ce mot !) toute la journée dans son tracteur à travailler seul des centaines d'hectares de plantes pauvres et sulfatées à haute dose.
L'avenir est aux petites unités de production, qui nécessitent de la main d'œuvre. Mais cela, le politique n'en veut pas. Discours officiel : cela ne peut pas être rentable. C'est une grossière erreur que Marc Dufumier notamment a taillé en pièce. La raison sous-jacente il me semble, c'est cette haine tenace de l'enracinement qui inspire nos gouvernants.
Propos recueillis par Claire Thomas
1). https://www.youtube.com/watch?v=8NV3pwjp ans&feature=youtu.be
2). Que Choisir ? n°518, octobre 2013. Enquête "Des pesticides dans nos vins"
monde&vie 16 mars 2016 n°921