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Les manuels de la rééducation nationale (texte de 2016)

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Occasion en or pour les éditeurs, ces nouveaux manuels scolaires symbolisent à eux seuls le divorce contre-nature entre l’école et la culture.

Une aubaine pour les éditeurs scolaires ! Cela faisait plus de six ans qu'ils attendaient ce moment enfin un changement des programmes scolaires et de nouveaux manuels à la clef… La réforme du collège est à certains égards une révolution tout change, depuis la 6e qui est rattachée au CM1 et CM2, tandis qu'un « 4e cycle » englobe mollement les 5e 4e et 3e jusqu’à la manière d’enseigner. Des manuels, il en faut donc beaucoup, et vite il y a un gâteau de millions et de millions d'euros à se partager.

Une telle manne, cela ne se refuse pas - quitte à vendre l'âme de l'enseignement. C'est ce que s'apprêtent à faire les éditeurs scolaires, qui travaillent actuellement 12 à 14 heures par jour pour être fins prêts pour la rentrée prochaine.

Le problème des manuels, c'est évidemment qu'ils sont censés refléter fidèlement les programmes. Et les derniers en date, fièrement présentés par Najat Vallaud-Belkacem mais fruit d'une entreprise de décervelage qui ne date pas d'hier, portent à des sommets d'indigence les recueils de la matière que l'on veut faire ingurgiter aux collégiens tant du public que du privé sous contrat. Il ne s'agit pas de connaissances, non, non… ou si peu. Ce que veulent les rédacteurs missionnés par la rue de Grenelle, c'est créer un état d'esprit.

Pour cela ils sont même prêts à attendre un peu, puisque les éditeurs, dé-bor-dés, ont demandé et obtenu que la mise à disposition des nouveaux livres puisse s'étaler sur deux ans.

Au fond, il suffit de feuilleter quelques-uns de ces livres qui seront (ou devraient être) imprimés à raison de 16 millions d'unités pour les écoliers, 11,2 millions pour les collégiens, et de les comparer avec les livres scolaires du temps jadis. Jaunis, écrits serrés sur du papier médiocre - on ne connaissait pas le développement durable en 1930 mais on ne gaspillait rien - les vieux manuels de mathématiques, de français ou de sciences naturelles étaient denses et peu illustrés. Pour les plus jeunes, le calcul, la lecture ou la leçon de chose concédait un peu de place à la fantaisie. Au bout du compte, malgré l'absence criante de psychopédagogues et de spécialistes des sciences de l'éducation, les jeunes savaient lire, écrire et compter. Même les livres d'histoire, dont nul n'aurait su à l'époque dénoncer la ringardise chronologique, donnaient de la culture, fût-elle bien souvent déformée, déjà, par l'idéologie.

Des manuels « aérés », pleins de vent...

Au fil des ans les textes se sont aérés, les encadrés et informations courtes sont venus au secours du manque croissant de concentration des élèves et les illustrations, toujours plus envahissantes, ont contribué à l'installation de la (contre-) civilisation de l'image. Avec la réforme qui entre en vigueur en septembre 2016, on atteint de nouveaux sommets de cette mode déjà ancienne : tout est thématique, vide, indéfini, depuis le français abordé par le biais des « questionnements » jusqu'à l'histoire que l'on continue mordicus de traiter par thèmes tout en se lamentant de voir les jeunes imaginer Victor Hugo contemporain de Jules César.

Mais qui se lamente ? Les parents. Certains médias. Peut-être même des professeurs sincèrement désireux de transmettre quelque chose à leurs élèves - s'ils ont su résister aux mantras de leurs formateurs. Mais si Najat Vallaud-Belkacem se montre si satisfaite de sa réforme, comme l'ensemble de l’équipe socialiste au pouvoir, c'est qu'elle se fiche de la transmission : l'important, c'est de favoriser l'égalité (et donc le nivellement par le bas), de « se chercher », « se construire », « vivre ensemble », « regarder le monde » : ce sont là les quatre thèmes de l'enseignement du… français, auxquels sacrifieront les manuels flambant neufs de septembre prochain.

Dans ce nouveau monde d’où même les « séquences » sont bannies, il faut d'abord arriver au « décloisonnement » et tout miser sur le travail et sur les « compétences ». C'est un monde où l'on n'a plus à aborder de beaux textes mais à travailler sur toutes formes de « productions écrites », du SMS à la tragédie (pour les plus chanceux). Une place importante pourra être accordée aux formes d’expression familières aux élèves - on en tremble d'avance. Dans sa synthèse des programmes, l'éditeur Nathan vend la mèche sur le nouvel enseignement du français : « On remarque un allégement (sic) des savoirs l’objectif étant que les élèves apprennent ce qui leur est utile pour mieux s'exprimer. » « L’approche de la langue est plus systémique on s'attache surtout à repérer les constantes et on regarde moins les différences et les exceptions » : on ne veut voir qu'une seule tête, c'est la déclinaison ultime de la diversité. « Il y a également moins de progression chronologique », l'accent est mis sur la « littérature jeunesse » et les multimédias documentaires bienvenus !

Le passé simple a disparu

Dans un monde où la Bibliothèque Rose réécrit les Club des Cinq au présent pour les rendre compréhensibles aux jeunes d'aujourd'hui, on imagine le gâchis. C'est pour la même raison que les manuels nouvelle manière adoptent la nouvelle orthographie, et réduisent le nombre des conjugaisons à maîtriser.

Nathan poursuit : « On insiste sur les activités de manipulation, l'automatisation des procédures, les travaux à partir des productions écrites et orales des élèves, les travaux de groupe ». Un bref coup d'oeil sur un manuel de grammaire publié par le géant de l'éducation scolaire montre que tout cela est parfaitement mis en œuvre : la mécanisation de la pensée est toujours à l'ordre du jour. Comment distinguer un participe passé d'un infinitif, savoir si on écrit -é ou -er ? Facile il suffit de le remplacer par un verbe du troisième groupe ! À quoi sert l'adverbe ? À donner une information dans la phrase.

Avec de tels outils, le « travail de groupe » est en effet indiqué : c'est la dynamique de groupe, même, qui fait de chaque élève un simple élément d'une unité d'apprentissage où les « savoirs » se dégagent de la discussion et où l'important est de participer.

Il semblerait que le gouvernement veuille équiper 40 % des élèves des classes de 5e de tablettes à la rentrée : cela répond à un autre leitmotiv des programmes qui insistent sur l'apprentissage « numérique ». Cliquer, zapper, surfer c'est à la portée de n'importe qui, on peut le faire l'esprit vide et c'est d'ailleurs à cela que toute cette affaire tend. Si « l'utilisation de supports et d'outils numériques est stipulée dans les nouveaux programmes » c'est à la fois parce que c'est ludique et que cela contribue à entraver la pensée langagière en favorisant avant tout la coordination œil-main, hors parole.

Tout à la fois et même un peu plus

Bernanos avait raison de dire que la vie moderne était une conspiration contre la vie intérieure !

À cet égard, au-delà même de leurs gadgets comme les « Enseignements pratiques interdisciplinaires » où l'on fera tout à la fois, et peut-être même un peu de latin, c'est un assaut, encore un, contre la culture qui est lancé. Conçu par les pouvoirs publics, mis en œuvre par les éditeurs scolaires dociles, imposé aux professeurs peu souvent armés pour tenir tête, dirigé contre l'intelligence des enfants.

Car ils ne sont pas plus sots que leurs aînés. Mais ils sont la cible, toujours davantage, d'une politique de l'éducation très exactement criminelle qui mélange le beau et le laid, le vrai et le faux, le sublime et le banal, et met tout cela sur le même plan. Les professeurs étant supposément libres, d'aucuns pourront choisir de faire découvrir Corneille, Racine tandis que d'autres, munis de leurs nouveaux livres scolaires, privilégieront les « œuvres non littéraires » comme les « fictions audiovisuelles » ou les recettes de cuisine.

François-Xavier Bellamy enseignant en classe préparatoire, a poussé un cri de colère contre les nouveaux manuels qu'il a feuilletés en nombre. C'est un « délire [qui devient] réalité, avec la collaboration honteuse d'éditeurs serviles et lâches, dans le silence des médias et dans la passivité générale - si l'on excepte la complicité coupable de l'enseignement privé », écrit-il. Il était tombé - entre autres - sur cet exercice proposé dans un livre de français publié par Nathan :

« Vous souhaitez rompre avec votre petite) ami(e). Après lui avoir écrit le SMS ci-dessous, vous décidez finalement d'opter pour une lettre afin de développer vos sentiments et les raisons qui vous poussent à prendre cette décision "Ce c mwa ! Sa va dps samedi ?G1 truc a te dirjeroi kon devréfer 1 brek. bz" » - smiley dépité compris. N'allez pas croire que les « concepteurs » de l'exercice s'attendent à de charmants billets de rupture courtoise.

L'hypocrisie totalitaire

Comme toujours dans ce type d'entreprise, l'hypocrisie est au cœur du dispositif : sous couleur de liberté pédagogique et de refus de dogmatisme, les nouveaux manuels sont bourrés d'une idéologie qui, elle, doit être « transmise » avec constance par les catéchistes de la nouvelle religion. C'est le « développement durable » qui revient à toutes les sauces, tandis que même les exercices grammaticaux sur des catastrophes dues au « changement climatique » créent des conditionnements au service desquels œuvrent les programmes comme les manuels. La « transition écologique » et la « citoyenneté » ont pris la place des Dix Commandements. Et de Molière, et de Charlemagne, de Louis XIV et de Pascal.

C'est la France qu'on assassine aussi bien que la culture universelle. Mais c'est aussi et avant tout la vérité. Le nouveau manuel de français de 6e de la collection « Le Robert » ne propose-t-il pas cette consigne ? « À retenir : Le Dieu de la Bible est un Dieu soucieux de sa puissance, qui punit toute désobéissance. Il est et se veut radicalement différent des humains. »

De plus en plus, la résistance à la folie pédagogiste devient une affaire de défense de la liberté de croire et de pratiquer la vraie religion. Mais quand on chasse délibérément le surnaturel et le culte du vrai Dieu, la culture sombre dans le même naufrage. Le devoir de résistance est devenu plus urgent que jamais - parce qu'il faut sauver la raison autant que la foi !

Jeanne Smits monde&vie 20 mai 2016 n°924

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