Dans la kyrielle d’interdictions, de suppressions, de fermetures comme on n’en avait pas connu depuis l’Occupation – et ce n’est pas une reductio ad hitlerum facile, ce sont les faits -, à côté des couvre-feux, du sort des librairies, des restaurants, des universités, il y a celui des élections.
Après le fiasco des municipales de mars et juin derniers, quid des départementales et des régionales prévues, normalement, en mars prochain ? C’est un peu passé inaperçu, mais dans le pack de propositions examinées par le Conseil des ministres du 21 décembre dernier, en pleines vacances de Noël, à côté de la disposition explosive accordant des pouvoirs de contrainte exorbitants au Premier ministre, il y avait un texte organisant, toujours pour raisons sanitaires, le report des élections départementales et régionales de mars à juin. Ce texte doit être examiné par le sénat, en première lecture, à partir du 25 janvier, puis par les députés le 9 février. Jusque-là, vu la mauvaise expérience de mars dernier et la situation sanitaire, tout va (presque) bien. Presque, car même Le Monde souligne que le report des élections, dans la France démocratique contemporaine, est un fait extrêmement rare. Sous Emmanuel Macron, l’exceptionnel a tendance à se banaliser.
Mais ces derniers jours, beaucoup d’élus des conseils concernés par ces élections ont exprimé leur inquiétude sur ce report qui pourrait en cacher un autre. En effet, le texte soumis au Parlement prévoit une clause de revoyure. Le Conseil scientifique devra rendre un rapport avant le 1er avril en fonction duquel un nouveau report – via un nouveau projet de loi – pourrait être décidé si la situation l’imposait.
Dans les oppositions de droite comme de gauche, vu la dramatisation de la situation sanitaire orchestrée par le gouvernement, on croit de plus en plus à cette option d’un nouveau report. « Juin 2021 ? Je n’y crois pas alors que nous sommes en train de nous poser la question d’un éventuel reconfinement ou d’un couvre-feu élargi contre la variante anglaise. Tout ça me laisse très dubitatif », confie le député LR Sébastien Huyghe au Figaro.
Et, surtout, on n’hésite plus à exprimer à voix haute ses soupçons à l’égard d’Emmanuel Macron. Le Figaro : « L’opposition est convaincue que la majorité – qui aborde cette échéance avec difficulté – cherchera à trouver n’importe quel moyen de les reporter par-delà 2022. » Dans Sud-Ouest, le président (PS) de la région Nouvelle-Aquitaine met les pieds dans le plat : « Le report des régionales après les élections présidentielles entraînerait une suspicion à l’égard de la stratégie politique du président de la République. […] J’ai l’impression que ce qui peut gêner une partie de l’appareil d’État et de la majorité, c’est que les régions sont élues au suffrage universel direct. »
Ce qui est certain, c’est que ces élections intermédiaires, d’ordinaire difficiles pour le pouvoir en place, seront redoutables pour le parti d’Emmanuel Macron : elles seront la première occasion démocratique de lui demander des comptes sur sa gestion de la crise. Un vrai défouloir. À tel point que l’un de ses parrains de 2017, Alain Minc, lui conseille, dans Le Parisien, de faire l’impasse sur ces régionales en ne présentant pas de candidat, comme Jean-Michel Blanquer en Île-de-France qui sortirait « abîmé » de cette défaite annoncée, affaiblissant ainsi tout le dispositif macroniste. C’est, pour lui, « une erreur majeure ». Alors, quitte à faire l’impasse, pourquoi ne pas reporter encore ces scrutins ?
Christian Jacob, en homme de bon sens, a rappelé, dans Le Figaro, que nous avions désormais les moyens d’organiser ces élections de façon sécurisée : « Au nom de quoi pourrait-on empêcher les gens d’aller voter ? On est contraint de vivre avec le virus. La vie ne doit pas s’arrêter. » Et d’ajouter, avec le même bon sens : « Dans ce cas-là, on peut aussi bloquer l’élection présidentielle. »
Euh… et prolonger le mandat d’Emmanuel Macron ? Faudrait quand même pas pousser le virus trop loin.