L’Express publie quelques extraits du dernier livre de Michel Onfray, “L’Art d’être français“, dans lequel il s’en prend notamment à l’ « islamo-gauchisme », « l’écologisme » ou « le néo-féminisme », comme à Assa Traoré, Edwy Plenel ou Greta Thunberg :
Comment en sommes-nous arrivés là? me direz-vous. Invoquons le mouvement des civilisations et le fait que nous nous trouvons en bout de course. Après presque deux mille ans, le judéo-christianisme a fait son temps. Comme chez tout organisme vivant, vient l’heure de la mort. Le mouvement qui affecte tout ce qui vit – des ravages du coronavirus aux actuelles fusions d’étoiles en passant par l’existence humaine… – suppose un même schéma. D’abord le temps de la vigueur : nais sance, croissance, puissance. Puis le temps de l’épuisement : dégénérescence, sénescence, déliquescence.
A l’évidence, notre civilisation touche à sa fin. On pourrait presque créer une discipline historique dont la spécialité consisterait à expliquer les effondrements des civilisations! Chaque époque y va de son fantasme pour expliquer la chute de Rome : les anticléricaux du XVIIIe siècle avancent que Constantin a christianisé l’Empire, donc détruit Rome; les nationalistes du XIXe siècle estiment que la citoyenneté dans l’Empire était devenue une formalité et que le ciment impérial ne pouvait plus prendre; les écologistes du XXe siècle en appellent à l’impéritie des agriculteurs ou dénoncent des campagnes militaires navales ayant occasionné la déforestation pour construire des bateaux, etc.
On peut, comme moi, estimer qu’il n’y aurait pas qu’une seule cause à mobiliser, d’autant plus que ces prétendues causes pourraient bien n’être que… des effets! Ma lecture vitaliste me fait considérer les civilisations comme des organismes vivants qui, d’une certaine manière, se reproduisent, car aucune civilisation ne naît de rien et toutes procèdent d’un même tuilage – qu’on songe au monde grécoromain ou à celui du judéo-christianisme, tous deux soumis au même processus…
Lascaux, Assur, Sumer, Babylone, l’Egypte, la Grèce, Rome, l’Europe – pour aller vite… – sont autant de civilisations qui ont obéi à ce schéma vitaliste. A Louxor, des hommes ont cru en Horus, Bastet ou Nout, mais plus personne n’y croit autour du Nil ni nulle part ailleurs. De même avec les autres dieux des autres civilisations, eux aussi soumis à la loi du vivant : ils sortent du néant, font ce qu’ils ont à faire, autrement dit vivent, puis retournent au néant.
Le délitement de la civilisation judéo-chrétienne s’est effectué au cours des siècles, car tout ce qui naît entame immédiatement son cheminement vers la tombe. On peut bien sûr tracer, pister le mécanisme de la décadence et donner à chaque moment historique son rôle dans ce processus de dégradation – l’apparition du nominalisme qui attaque la possibilité du Dieu chrétien au Moyen Age, la redécouverte de l’Antiquité à la Renaissance qui montre que le monde chrétien n’est pas le seul, le surgissement de Descartes qui laïcise la pensée et demande à la raison, plutôt qu’à Dieu, de rendre compte du monde, la philosophie des Lumières qui fait un usage abondant de la Raison contre le christianisme et son Dieu, la philosophie politique du XIXe qui, après la Révolution française, invente le socialisme, le communisme et l’anarchisme. Tout cela a travaillé l’édifice judéo-chrétien comme des termites la charpente d’une cathédrale. Un jour vient où la structure en bois de l’édifice part en poussière : les forces des poussées alors retenues et contenues ne le sont plus – le monument tombe.