Sursum corda ! L’Action française se félicite de la réédition – après plus de cent ans ! – d’une œuvre majeure d’un de nos maîtres ! En effet, si nos sympathisants et militants peuvent accéder plus ou moins facilement aux travaux de nos plus célèbres plumes – à l’instar de Charles Maurras, Léon Daudet ou Jacques Bainville – bien d’autres auteurs semblent nous être interdits faute de nouvelles éditions. Le travail semble titanesque, mais il est temps de sortir de l’ombre des intellectuels comme Louis Dimier, Marie de Roux ou encore celui qui nous intéresse présentement, à savoir Léon de Montesquiou. Nous devons cet événement à une jeune et courageuse maison d’édition La délégation des siècles qui vient de publier Les raisons du nationalisme, l’occasion pour nous de les rencontrer.
Merci à vous de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous nous présenter tout d’abord votre maison d’édition, ses fondements, ses aspirations et ses objectifs ?
Le « cri de guerre » de La délégation des siècles est le suivant : « Redevenir des Français ! »
Nous partons du constat qu’il existe, dans le panthéon des lettres françaises, des textes, des livres, des auteurs dont la lecture tire l’âme de sa léthargie, pour reprendre le mot fameux de Barrès. Hélas, l’édition française, l’Université, le monde de la culture ont largement oublié ou snobé ces œuvres depuis plusieurs dizaines d’années, principalement pour des raisons idéologiques et partisanes.
Nous souhaitions réunir en une seule et même collection cohérente ces œuvres édifiantes et superbes, afin que le lecteur qui souhaite se former, se renforcer, mettre de l’ordre dans ses idées, acquérir des lettres, développer sa science politique et son argumentaire, mettre des mots sur ses sentiments, puisse trouver, réuni pour lui, un ensemble solide qui répondra à ces besoins.
Au moment d’écrire ces lignes, nous proposons un catalogue d’une quinzaine de titres, qui s’étoffe constamment. Nous sommes fiers à ce propos de remettre en circulation des livres totalement inconnus et oubliés, comme très récemment Le capitaine philosophe de Marcel Tissot. Il raconte l’histoire d’un jeune homme issu de la noblesse qui va embrasser les idéaux de la Révolution dans un premier temps, avant de déchanter pour des raisons que le lecteur découvrira. Ce livre a été publié une seule et unique fois en 1876, et nous venons de le « ressusciter » le mois dernier.
Parmi les innombrables œuvres existantes, pourquoi vous être intéressé spécifiquement à cet auteur, à cette œuvre ? Comment se fit cette rencontre ?
Léon de Montesquiou (1873-1915) doit être réhabilité ! Sa mort précoce en 1915 au champ d’honneur ne lui a pas permis de continuer son œuvre après la guerre, ce qui explique sans doute qu’il a été « oublié » avec les années. Mais je le redis : il doit être réhabilité, entre autres pour cette raison fondamentale : il était un immense pédagogue capable de rendre claires, limpides et accessibles les œuvres complexes et parfois opaques de philosophes comme Louis de Bonald.
Il avait compris les enjeux, savait quelles conséquences seraient entraînées par les mauvais choix politiques et philosophiques de son époque et avait « prophétisé » nos malheurs. Il appartient à cette catégorie de penseurs dont les œuvres écrites il y a plus de 100 ans décrivent notre propre présent d’une façon incroyablement juste.
Les ouvrages de Montesquiou sont à la fois des manifestes politiques, des cours de philosophie et d’histoire, des leçons puissantes et une source d’énergie immense. C’est tout ce qui manque à nos contemporains alors il était de notre devoir de remettre ce livre en circulation.
Pourriez-vous nous présenter ce livre ? Quelle est son origine ? Quel est son objectif premier ? Comment s’articule-t-il ?
Les raisons du nationalisme a été publié en 1905. Le livre se découpe en cinq chapitres qui sont en fait les textes de cinq conférences données par Léon de Montesquiou entre 1902 et 1905. Dans chacune des parties, il aborde et précise un thème, toujours en lien avec l’objectif qu’il s’est fixé d’expliquer les raisons du nationalisme, sa raison d’être, son bienfondé et ses objectifs. Nous trouvons donc ici exposés le thème de l’enracinement avec Barrès, du déclassement social avec Paul Bourget, de régime politique, de la Tradition, de la Liberté, etc.
L’un des grands intérêts de ce livre est qu’il donne une définition large du nationalisme. Les adversaires du nationalisme ont longtemps enfermé cette doctrine dans cette phrase aussi réductrice que fausse : « le nationalisme, c’est la guerre ! ». Hélas beaucoup de nos contemporains pensent en effet, à cause du formatage auquel ils sont soumis, que le nationalisme est seulement une pulsion délirante de guerre et de mort. En réalité, c’est une véritable philosophie politique au sens large, qui s’exprime sur tous les aspects de la vie sociale et civile : culture, histoire, géopolitique, économie, valeurs & principes, organisation sociale, institutions, etc.
Le texte réussit l’exploit de s’adresser autant aux personnes déjà convaincues qu’à celles qui hésitent, qui ne savent pas ou qui n’ont pas d’avis particulier, car il est à la fois assez solide doctrinalement pour satisfaire des esprits déjà formés et assez pédagogue dans sa forme pour convaincre des profanes, des indécis, voire des adversaires !
Nous connaissons votre intérêt pour Maurice Barrès – qui représente la majorité de vos éditions -, quelle place tient-il dans cette œuvre ?
Maurice Barrès occupe effectivement une place de choix à La délégation des siècles, et pour cause ! Il est un maître, un professeur d’énergie, un littérateur exceptionnel et une intelligence sensible au service de la France. Léon de Montesquiou n’était pas d’un autre avis d’ailleurs, et en effet la première partie des Raisons du nationalisme se consacre à Barrès et à son œuvre intellectuel et littéraire en faveur de l’enracinement. Il est notable d’ailleurs que Montesquiou, qui est de l’école monarchiste, salue et loue Barrès le républicain. Parce qu’au-delà des différences, il y a l’amour de la France qui surpasse ces clivages. Je pense souvent à ce mot de Déroulède : « Républicains, royalistes, bonapartistes, ce sont des prénoms ; Français est le nom de famille ». Montesquiou reconnaissait dans Barrès un maître ayant considérablement participé à la formulation d’une doctrine nationale solide.
Léon de Montesquiou fut un nationaliste convaincu par l’idée monarchiste à la suite d’une lente conversion où Charles Maurras eut la première place. Celle-ci se fit entre 1900 et 1901 à la suite de la lecture de l’Enquête sur la monarchie et d’une série d’articles parus dans La revue d’Action française. Comme Charles Maurras, il croit que l’argumentaire philosophique traditionnel doit être renouvelé et tente de concilier des auteurs comme Bonald et Comte – écrivant des essais les concernant à l’instar du Le système politique d’Auguste Comte (1910) ou Le réalisme de Bonald (1911) -. Comment se traduit cette tension entre les autorités traditionnelles et celles plus récentes ?
Il faut se remettre dans le contexte de l’époque pour essayer de comprendre cette tension dont vous parlez. Nous avons là des gens convaincus que la France est grande mais qu’elle ne l’est que parce que les puissances intérieures qui l’animent acceptent d’assumer cette puissance et de la garantir. Or, à cette époque, on voit déjà poindre des défaitistes, des déclinistes, des internationalistes qui ne trouvent plus intéressant d’assumer cette grandeur. Les fruits pourris de la Révolution ont infesté le sol longtemps après les événements : les institutions sociales qui garantissaient à la France sa solidité et sa stabilité ont été dévastées par l’aventure révolutionnaire. La charpente nationale est écroulée sur le sol et des gens, au nombre desquels Léon de Montesquiou et d’autres, s’interrogent : maintenant que la charpente est écroulée, comment empêcher que la France ne s’écroule à son tour, ce qui arrivera immanquablement ? À cette question, ils ne répondent pas tous de la même façon. Montesquiou et avec lui d’autres représentants de l’Action française tentent un rapprochement intellectuel avec par exemple l’école positiviste de Comte. Notons d’ailleurs qu’à cette époque, Maurras tente plusieurs rapprochements en vue de créer une dynamique : il entretient une correspondance avec beaucoup de personnalités d’autres camps, comme Anatole France ou Marc Sangnier.
Il y avait une vraie volonté d’unir les forces en présence afin d’éviter le drame absolu que représenterait l’écroulement de la Maison. On peut dire que ces tentatives de conciliation étaient une réponse spontanée devant l’imminence d’un danger mortel ; lequel danger rendait nécessaire certaines tentatives qu’en temps normal il n’y aurait pas eu lieu d’envisager. Mais les situations de crise imposent des solutions de crise.
Nous savons que Léon de Montesquiou critique l’économie libérale et qu’il lui oppose la construction d’une société organique propice aux métiers et aux solidarités ? Quel constat pose-t-il, lui qui fut si fortement imprégné des idées de Le Play, concernant les questions sociales et économiques ?
C’est en effet l’un des grands affrontements philosophiques entre les traditionnalistes et les transformateurs. L’industrialisation, l’exode rural, la machinisation des métiers manuels, tous ces mouvements ont profondément modifié la structure sociale du pays. Pour la première fois depuis des siècles, des hommes ont quitté le village dans lequel leurs familles étaient établies depuis toujours pour s’en aller se faire recruter à l’usine. Par ce fait, des siècles d’habitudes ont été bouleversés et une grande part des traditions locales, paroissiales, villageoises, communales, a été bousculée et perdue. Cet immense désordonnement est traité dans la deuxième partie des Raisons du nationalisme, dans laquelle Montesquiou évoque le thème du déclassement au travers du roman l’Étape de Paul Bourget, qui traite de ce sujet. Montesquiou fait le constat que les innovations politiques nées de cette métamorphose n’ont pas été sans conséquences. Mais pour résumer cette pensée, je cite Gustave Thibon, un autre brillant esprit :
« Arrêtons-nous par exemple un instant sur le mythe démocratique du “peuple souverain”. Tous les bons esprits ont vu là depuis longtemps une formidable supercherie : d’une main, on donne au peuple un pouvoir pour lequel il n’est pas fait et qui, par conséquent, reste toujours quelque chose de spectral et de platonique, et, de l’autre, on lui enlève les droits qui conviennent à son rôle exact dans la cité. Le bulletin de vote a fleuri sur la tombe des libertés communales et corporatives ».
Léon de Montesquiou était de ces « bons esprits » dont parle Thibon.
Les traditionnalistes analysent qu’un être humain est aussi le fruit de son environnement social et culturel. Qu’un villageois de la Meuse, artisan ou cultivateur, a besoin pour s’épanouir d’un ensemble social et culturel qui convienne à sa condition de villageois de la Meuse. La supercherie, c’est dire à cet homme : « Oublie ton champ, oublie ton atelier, oublie ta chapelle, oublie la tombe de tes anciens et rejoins la démocratie, tu pourras voter pour dire ton avis sur le nucléaire, sur la durée du mandat présidentiel, etc. » Or, l’artisan meusien se fiche en réalité de la durée du mandat présidentiel et d’ailleurs il n’est ni concerné ni qualifié pour se positionner sur ce sujet hautement technique. Le modernisme a détruit l’église et la vie communale de cet artisan pour lui donner en échange des « droits » qui ne le concernent pas, ou tellement lointainement.
Ce qu’il faut, c’est respecter les écosystèmes sociaux et culturels locaux. La République jacobine et nihiliste a fait des dégâts considérables. Et là, nous en revenons à Barrès et à la thèse qu’il défend dans Les déracinés : contre l’universalisme stérilisant, pour la reconnaissance des particularités locales. Cela vaut pour les questions identitaires comme pour les questions sociales.
Nous vous remercions ! Travaillez-vous actuellement sur d’autres éditions ? Est-ce que d’autres figures d’Action française seront honorées ?
D’autres nouveaux titres arrivent bientôt en effet. Pour le moment, pas d’autres figures de l’Action française. En fonction du succès que rencontra ou non ce livre de Léon de Montesquiou, nous envisagerons de lancer d’autres ouvrages de cet auteur. Comme on dit dans ces cas-là : la balle est dans le camp des lecteurs !
Un dernier mot ?
N’abdiquons jamais.
Qui vive ? France !
Propos recueillis par Guillaume Staub
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