Il est là narquois, superbe, drôle, tellement sûr d’être irrésistible. Et fier, avec ça. Youpi, il est sur la video de Zemmour ! C’est un peu comme la Légion d’honneur et la valeur militaire réunies, n’est-ce pas ? Sans compter qu’il y est en bonne compagnie : Attali, Dupont-Moretti… le gratin. Il montre l’extrait à ses camarades autour du plateau, il faut être vigilant car c’est fugace : là, là ! Il est fier, donc, mais mécontent : son image, a été utilisée sans son accord et, en sus, pour dire du mal de lui. Enfin, faussement mécontent, car évidemment, il a ainsi trouvé la faille. « Trouvé » c’est un grand mot, car depuis hier, ceux qui, drapés dans leur dignité, s’alignent devant le bureau des réclamations pour le même motif sont légion. Comme le fait remarquer finalement Eugénie Bastié, sur Tweeter « [On attend] l’interview des descendants de Beethoven pas d’accord avec l’utilisation de la 7ème symphonie dans le clip de Zemmour ».
Yann Barthès s’esclaffe. « Mais qui a fait ce clip ? Des bras cassés ! » Il saisit théâtralement un téléphone antédiluvien pour faire mine d’appeler un avocat. Ils vont voir ce qu’ils vont voir. Ça va leur coûter bonbon. Et de préciser, avec force doigts d’honneur à l’appui, que les dommages et intérêts iront à des associations d’aide aux migrants. Il est vraiment désopilant.
Quand Quotidien a fait un gros plan sur le bouton de fièvre de Jordan Bardella, reprenant les images d’une interview de CNEWS, Europe 1 et Les Échos avec ce commentaire : « Vous le trouvez pas changé Jordan Bardella ? … Non ? Regardez bien : il vous donne envie de vous gratter la lèvre, non ? » , c’était sûrement bienveillant et dûment autorisé par Jordan Bardella et les médias qui l’avaient invité ?
Et si on parlait, enfin, des « bras cassés » anonymes, divers et variés, qui ont été ridiculisés, humiliés, au fil des années pour une phrase bafouillée, dites de travers ou tronquée à la sortie de tel meeting, telle paroisse, telle manifestation malséante ? Ils n’ont eu, pour leur image ainsi détournée et manipulée, livrée par « Quotidien » à la vindicte populaire, que leurs yeux pour pleurer. Ils n’ont pu que baisser la tête et supporter les quolibets – au lycée, au boulot, sur les réseaux sociaux -, en attendant que la lessiveuse du badbuzz s’arrête ou plutôt, un « bras cassé » chassant l’autre, qu’elle change de cible. Et en priant pour ne pas être viré ou saqué à l’issue.
C’est précisément ces « bras cassés », ces « déplorables » comme les appelait Hilary Clinton, à laquelle le mot n’a guère porté chance, qu’Éric Zemmour évoque dans le petit passage où figure Yann Barthès : « Bien sûr, on vous a méprisés, les puissants, les élites, les bien pensants, les journalistes, les politiciens… »
Avant lui, le soir du premier tour de la présidentielle de 2002, Jean-Marie Le Pen avait dédié à ses troupes presqu’incrédules devant la victoire la fameuse tirade de l’Aiglon : « Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades, nous qui marchions fourbus, blessés, crottés : malades, sans espoir de duchés ni de dotations ; nous qui marchions toujours et jamais n’avancions ; trop simples et trop gueux pour que l’espoir nous berne… ».
Faut-il qu’aucune leçon ne serve jamais ? Yann Barthès n’a-t-il pas compris que son fiel était le carburant de ceux qu’il excècre ? Ce qui galvanise cet électorat ? Il prend les soutiens de Zemmour pour des imbéciles mais n’a visiblement pas compris qu’il en était lui-même l’idiot utile.