L'actualité la plus incandescente, entre Ukraine et Sahel, devrait au moins nous alerter sur les dangers que nous encourrons. Hélas, les peuples européens, du nord au sud, se confient pour leur sécurité continentale commune au bon vouloir et au parapluie de nos alliés principalement américains et de l'appoint britannique.
Quand le président américain Biden annonce qu'aucune réponse d'ordre stratégique ne peut être donnée, la messe semble dite. Dans un essai qu'elle intitule la Fin de la Chrétienté, Chantal Delsol écrit "nous avons renoncé au règne de la force". Or, la force, de son côté, n'a pas renoncé à son règne.
Comment ne pas sourire amèrement, dans un tel registre, en lisant l'éditorial du Monde du 19 février. Il se réjouit en effet prétendant voir"l’UE enfin armée"Bonne nouvelle pensera-t-on, avant de lire la suite " armée pour défendre l’État de droit"... "face à la Hongrie et la Pologne".Voilà donc aux yeux des bien-pensants d'aujourd'hui les pays dangereux. Et donc : "la Cour de Justice européenne a validé, mercredi, le dispositif soumettant l’octroi de fonds européens au respect des règles de droit" (1)⇓
On ne saurait s'étonner, dès lors, que l'urgence de la chose militaire, demeure absente de la campagne électorale en cours.
Or, aujourd'hui même, cette question se rappelle au bon souvenir des citoyens conscients. Ah certes il s'agit là d'une catégorie un peu trop minoritaire, au sein d'une opinion française baignant, depuis 60 ans, dans les illusions de la seule dissuasion nucléaire et dans les fausses priorités de nos sociétés de consommation.
Dans un tel contexte, la gifle infligée à la France et à son armée par le gouvernement putschiste de Bamako, et son appel aux mercenaires du groupe Wagner, risquent fort hélas de demeurer impunis dans un premier temps. Ce 22 février au matin, en marge de l'opération d'annexion du Donbass par Poutine, on apprenait même par surcroît l'arrestation à Bangui de 4 militaires français…
S'agissant du Sahel, tout cela ne va pas manquer de réveiller l'antienne défaitiste et antimilitariste bien connue. On nous redira que l'intervention contre le terrorisme international ne sert à rien, que la France doit quitter l'Afrique, que les 59 soldats tombés dans cette région depuis 2013 sont morts pour rien, etc.
Le long débat du jour, à l'Assemblée nationale, ne manquait pas d'intérêt. Il portait sur la "déclaration du gouvernement relative à l'engagement de la France au Sahel, (...) en application de l’article 50-1 de la Constitution."Le texte gouvernemental était lu à la tribune par le Premier ministre Castex. Celui-ci aligna, d'une voix plus assurée qu'à l'accoutumée, quelques évidences. Il n'est sans doute pas mauvais de les rappeler. Serval, en 2013, faisait face à une situation dramatique pour un pays désorganisé et pratiquement désarmé face à l'agression islamiste. Barkhane, depuis 2014, a permis d'importantes victoires sur l'islamo-terrorisme, le projet de l'alliance pour le Sahel de 2017, le G5 Sahel et le sommet de Pau de 2019.
Après quoi, l'intervention de Jean-Louis Thiériot, LR de Seine-et-Marne, membre de la commission de la défense, suivie de celle de Valérie Rabault, députée du Tarn-et-Garonne présidente du groupe PS, démontrèrent que, sans pour autant s'aligner sur le gouvernement, les oppositions savent se montrer à la fois solidaires de nos soldats ; à cet égard, Jean-Luc Mélenchon lui-même sut adopter une position franchement nationale, répondant courageusement à ceux qui critiquent systématiquement la France. François Cornut-Gentille pour la droite, David Habib pour la gauche, quant à eux rappelèrent, utilement et à juste titre hélas, les nombreuses erreurs commises, dans la gestion de l'affaire sahélienne, sous la présidence Macron.
D'autres orateurs, en revanche, se montrèrent moins dignes. Les deux intervenants du groupe hybride "Liberté et Territoire" attaquèrent au vitriol l'action de notre [leur] pays. Dans ce registre Frédérique Dumas restait dans les limites de la bienséance, Sébastien Nadot franchit allègrement celles de l'inacceptable, ne trouvant pas un seul mot pour rendre hommage à nos morts et nos blessés, ce que la ministre des Armées Florence Parly, à qui il revenait de conclure, ne manqua pas de relever.
Or ce débat, à propos du Mali, ne posa pas une seule fois la question qui va se présenter pourtant de manière cruciale, après les élections dans le contexte budgétaire, financier et même monétaire que nous évoquions dans notre précédente chronique.(2)⇓
En ce moment en effet, malgré l'échéance électorale, un important travail parlementaire s'effectue autour de la future loi de programmation militaire pour les prochaines années. Les gros médias dédaignent évidemment d'en rendre compte.
Nous y reviendrons mais aujourd'hui nous devons indiquer simplement, par rapport aux conclusions d'un Gilles Carrez, citées dans notre chronique du 16 février, qu'aux 80 milliards d'euros d'économies qu'il juge nécessaires sur 5 ans, il faudrait ajouter les besoins supplémentaires évalués par la commission de la défense. Ils se situent à hauteur de 20 à 30 milliards d'enveloppe complémentaire, requise pour préparer les armées françaises à un éventuel conflit de haute intensité.
La défense de l'Europe, face au nouveau bloc de l'Est ne peut guère se concevoir dans le cadre des idées actuellement dominantes au sein de l'Union européenne. Celle-ci est demeurée, depuis les années 1950, malgré toutes ses évolutions institutionnelles, tributaire d'une conception avant tout commerciale et subventionnaire dans la logique de Jean Monnet.
La question de l'esprit de défense devient donc centrale.
En 2019 le Pointpubliait un assez remarquable dialogue entre deux intellectuels : un Américain, Michael Schellenberg, et un Européen, Pascal Bruckner. Tous deux déploraient combien « l'occident est fatigué et déprimé ». Ils en décelaient le signe fondamental et irrécusable dans la montée de l'écologisme radical.
En fait, plus globalement, la société de consommation a produit une Europe purement consommatique sous le parapluie jugé confortable du protecteur américain. Un tel état d'esprit ne laisse guère sa place à la considération d'une fonction régalienne prioritaire : la défense nationale.
Cela explique, mais n'excuse pas, que la défense et l'industrie de défense soient restées jusqu'ici en dehors du débat présidentiel.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. Éditorial du Monde du 19 février⇑
- cf. L'Insolent du 16 février "L'équation piégée du 25 avril"⇑