« Iran : l’homme ayant poignardé Salman Rushdie félicité par la presse conservatrice », titre 20 Minutes.« Salman Rushdie poignardé : les médias conservateurs iraniens saluent l’agression de l’écrivain », renchérit BFM TV. « Iran : l’assaillant de Salman Rushdie félicité par la presse conservatrice du pays », peut-on lire sur le site France Info. La liste des médias reprenant l’expression « presse conservatrice » est longue comme le bras.
Sans doute, derrière ce psittacisme, faut-il moins voir, la plupart du temps, un calcul idéologique qu’un « bâtonnage » paresseux, comme on nomme, en jargon journalistique, la reprise en trois temps d’une dépêche d’agence de presse : copier, coller, customiser. Un mot rajouté ici ou enlevé là : la customisation, dans la touffeur de la canicule, est souvent vite expédiée.
Mais si l’on remonte le fil, l’usage de l'expression « presse conservatrice » a été, apparemment, initié par l’agence Reuters : « Iran : la presse conservatrice félicite l’agresseur de Salman Rushdie. » Et l’on ne peut croire, cette fois, que ce soit tout à fait innocent.
Le mot « conservateur » n’avait déjà pas bonne presse. Il sentait le formol et la naphtaline, il évoquait le rétroviseur et la pédale de frein, le bocal et le couvercle, avec son poc à l’ouverture. On imaginait le conservateur ventripotent, une main tenant le cigare, l’autre posée sur le coffre-fort… Le voici à présent islamiste. Puisque ce que l’on devrait nommer « presse islamiste » est appelé « presse conservatrice ». Un islamiste serait donc une sorte de tory, un militant de feu Sens commun, quelque part, en somme, entre Boris Johnson et François-Xavier Bellamy. De qui se moque-t-on ?
Stigmatiser les musulmans, c’est mal. Stigmatiser les islamistes, ce n’est pas gentil non plus. En revanche, incriminer les « conservateurs » - ce grand mot fourre-tout bien pratique permettant d’amalgamer tout ce qui est réputé contraire au progressisme, comme si rien, à quelques détails près, ne séparait Laurence Trochu d’un mollah iranien - ne pose aucun problème.
Faire de l’islamisme un conservatisme, c’est un beau strike pour la gauche : dédramatiser le premier en calomniant le deuxième.