Nous nous sommes déjà adaptés ; comme les Salvadoriens et les Congolais, nous faisons attention, nous sommes prudents ; chaque retour de soirée peut finir – nous le savons, nous l’avons bien en tête – par un bolossage en règle pour une clope refusée, un « mauvais regard », une jupe trop courte, pour rien. La brutalisation de la société française – et plus largement européenne – a une cause évidente ; elle l’est tellement que sa constante réfutation par l’idéologie dominante peut rendre fou. Pour ne pas sombrer dans la folie, il faut être fort, très fort. Et il faut également avoir des guides, des hommes qui, eux, osent dire ce qui doit être tu, défier l’opprobre que reçoivent tous ceux, hélas trop rares – pour des raisons d’abord sociologiques – dans le champ culturel, pour qui la vérité compte plus que leurs fantasmes – qui se confondent souvent, comme par hasard, avec leurs intérêts.
Laurent Obertone est de ces rares courageux. Il a choisi la littérature – ou c’est elle qui l’a choisi – pour nous aider à y voir plus clair et, mieux encore, nous inviter au combat. Comme le disent les journalistes normaliennes anorexiques sur les plateaux télé quand elles viennent défendre leurs « bouleversantes » autofictions, son œuvre est une catharsis, elle est d’abord thérapeutique. Mais, lui, donc, il poursuit un but – autre que des entrées gratuites au Bouddha Bar. Et Guerilla le prouve, encore.
Quand la France flambe pour de bon
Pour composer sa suite, il est donc parti de cet incident de trop et en fait le point de bascule cher aux historiens. Une cage d’escalier, des jeunes, des policiers, des coups de feu. C’est la France d’aujourd’hui, la France permanente, la France devenue invivable. Dans les médias, ça devient une « bavure », avec chercheurs qui viennent systémiser, politiques qui s’indignent, associatifs exigeant encore plus de repentance et de quotas, juges qui relativisent, flics qui réclament plus de « moyens ». C’est, en somme, la « polémique », qui durera trois jours, avant la suivante, et durant laquelle l’État, par la voix de ses représentants si peu représentatifs, fruit d’un système foncièrement oligarchique, auront promis encore plus d’argent, auront encore davantage courbé l’échine, se seront encore plus soumis à la religion antiraciste et son catéchisme, le vivrensemble. Cette fois, pour de bon, la France flambe. Dans le premier volume, Obertone racontait l’incendie ; dans le deuxième, la guerre proprement dite. Le Dernier combat vient donc clore sa trilogie, avec la même acuité et le même panache.
L’ordre est rétabli. Le Président Escard, un Macron en encore plus cynique, a désigné l’ennemi : l’extrême droite. Avec l’appareil de l’État, l’armée, des milices et l’aide du Califat, il mène une politique ultra-progressiste et promeut une nouvelle Terreur. Il est le maître des écrans, qu’il installe partout, qui crachent une propagande digne du JT d’Arte – où l’on pouvait entendre, récemment, texto, par la bouche de sa présentatrice et de la voix off d’un sujet, que le gouvernement du Royaume-Uni comptait enfin « une minorité d’hommes blancs de cinquante ans ». C’est l’heure de la vengeance. Parce que les banlieues et les gauchistes ont, pour l’essentiel, semé la mort, il faut punir… les campagnes et les patriotes. L’implacable Vincent Gite, Eva Lorenzino, la petite Guerilla, Donatien, le capitaine Danjou : tous les héros des tomes précédents sont là, qui collaborent ou affrontent le régime issu de ce chaos de quelques jours durant lequel chacun aura dû trouver comment survivre. La victoire semble acquise au parti d’Escard ; « les plus fourbes et vicieux» sont à la fête ; au milieu des décombres et des cadavres qui s’amoncèlent dans toutes les rues de France, une contre-attaque se prépare, cependant. Gite l’incarne malgré lui, lui dont la fureur, froide et méthodique, rappelle en effet celle d’Achille à qui Obertone le compare et celle de la Bête du Gévaudan dont il raconte la fabuleuse histoire à une enfant, cette Guerilla qui est comme sa conscience qui le suit jusque dans les recoins de Paris.
L’hyper-réalisme d’Obertone
La plus-value d’Obertone, depuis ses débuts dans la carrière, c’est sa rigueur. C’est un pragmatique. La France Orange mécanique était insupportable aux yeux des « Amis du désastre » (Renaud Camus) parce que ce livre prenait des faits, les liait entre eux et, plutôt qu’en la théorie, disait croire à la causalité. On ne s’étonnera donc pas qu’Obertone soit un romancier réaliste. Hyper, même. La France de Guerilla, avec ses acteurs et ses spectateurs, ressemble fort à celle que nous connaissons déjà. Quiconque s’est coltiné les antifas les reconnaîtra sans peine sous les traits des membres de la Scar ; quiconque, contrairement aux apologistes médiatiques de la banlieue, y a vécu, retrouvera chez les soldats du Califat les racailles qu’il a connues ; quiconque a une télé, et l’allume parfois, saura que la manipulation qu’elle pratique ici n’est que celle qu’elle pratique déjà, mais en pire. Cette dystopie est donc crédible, la plus crédible parmi toutes celles qui envisagent le véritable embrasement de la France. C’est là son principal et grand mérite.
Le second, politique celui-là, est de dire que la riposte ne saurait être que collective. Le libertarianisme a du bon, certes ; il évite sans doute d’être dupe ; mais ce n’est sûrement pas avec lui que, en France en tout cas, nous parviendrons à renverser un État intégralement dominé par les forces du progrès et de l’argent.
Sans dévoiler par trop l’intrigue, il est heureux de constater qu’Obertone a compris que, s’il faut des chefs, il faut également des troupes. Dur – ici encore – avec les Français, ce peuple qu’il accuse de se laisser traîner à l’abattoir, il pointe par ailleurs justement la première cause de cette apathie : la propagande. Osons : jamais, même sous les régimes dits totalitaires, les masses n’ont été à ce point manipulées. Dans Guerilla, la première obsession d’Escard, c’est la télévision, le fait que les journalistes, les éditocrates, les experts puissent à nouveau noyer le réel sous un flot ininterrompu de commentaires. Bien sûr, la propagande de l’idéologie émancipatrice – comme l’appelle Chantal Delsol dans son superbe La Haine du monde – est plus subtile ; elle a la puissance d’un chantage affectif ; elle appuie là où ça fait mal à des peuples privés de fierté, féminisés, dont l’histoire a été déconstruite ; une simple photo d’un enfant mort sur une plage, et voilà que des millions de cœurs en chamallow d’Occident acceptent qu’un million de clandestins venus du XIIe siècle pénètrent en Europe.
Mais, malgré cette propagande de chaque instant, d’aucuns résistent ; eux-mêmes n’en ont pas toujours conscience. En novembre 2018, ils étaient sur les Champs-Élysées, ils manifestaient, crânement, ces millions de Français qui, outre des revendications sociales, réclamaient la fin de l’immigration – n’en déplaise à leurs leaders autoproclamés. On ne fait pas de révolution avec quelques-uns ; on n’en fait pas non plus avec tout le monde. Mais pour se débarrasser des traîtres qui nous gouvernent, il faudra bien un jour que, des tréfonds de la France, se dressent des bataillons, cette fois prêts – contrairement aux Gilets jaunes, et moi le premier, je le confesse volontiers, et le regrette – à risquer leur peau pour reprendre le fil de notre histoire.
La suite ? Obertone a raison quand il dit qu’elle peut virer à la répétition. N’empêche, entre-temps, les traîtres auront été punis, les lâches, purgés, les idéalistes, ramenés au néant d’où ils sortent. Ce jour, que j’espère pour ma part, sera beau comme un 93 à l’envers. La suite n’a en vérité pas beaucoup d’importance.
Le panache d’Obertone
Encore, il y a l’humour d’Obertone, cet humour tellement français, incompréhensible tant aux allogènes qu’à leurs maîtres, et qui traverse tout Guerilla. On rit, souvent, en lisant ces pages qui racontent pourtant la guerre, la grande guerre de civilisation qui est devant nous, qui nous attend comme la mort attend le pendu dans quelque conte breton. Ce n’est pas le rire anar de Charlie ; ce n’est pas non plus celui des comiques militants façon France Inter ; c’est encore moins celui des CPF (les « chance pour la France »), basé sur l’humiliation. C’est celui qui – et en cela qu’il est français – a des airs de bravades, résonne comme une saillie du Grand Condé à Rocroi, a tout compris, tout assimilé, comme les braves garçons du forum 18/25 de jeuxvideo.com – si certains de ces derniers me lisent, qu’ils sachent combien ils me sont sympathiques.
Raspail le montre bien dans Le Camp des saints : être de droite, c’est d’abord une attitude. C’est mépriser l’esprit de sérieux. Ce qui rend insupportables les membres des milices vivrensemblistes de Guerilla, c’est qu’ils sont sinistres comme une AG à la fac de Rennes-II. Nimier parlait des bohiscoutes qui empoisonnaient la vie des autres qui, comme son immortel Sanders dans Le Hussard bleu, l’un des plus beaux personnages de notre littérature, rêvaient de voyages imprévus, de rencontres bizarres, d’amours mémorables. De guerre, aussi. À tout le moins, de combat. S’il y a encore des Sanders parmi les Français – et j’en suis convaincu –, qu’ils se rassurent : l’avenir est sombre, la guerre arrive. En lisant Guerilla, ils sauront un peu mieux comment s’y préparer. Ils liront également et surtout l’un des meilleurs romans de la rentrée.
Guerilla 3 le dernier combat de Laurent Obertone. Éditeur Magnus
https://www.revue-elements.com/guerilla-3-la-serie-phenomene-dobertone/