On en parle quasiment depuis les résultats des élections législatives : le vote du projet de loi de finances (PLF), le budget donc, sera l’occasion pour le gouvernement de faire ses - vraies – premières armes. Ne disposant plus, en effet, de majorité absolue comme lors de la précédente législature, le parti gouvernemental sait que le vote du budget est crucial à plus d’un titre. Il permet, en effet, d’engager les dépenses et recettes de l’année à venir et donc d’établir le budget de l’État, il a donc un impact direct sur la vie des Français.
Et il permet aux différents partis politiques de se positionner par rapport à l’exécutif, c’est un marqueur d’opposition. Ceux qui ne sont pas dans la majorité présidentielle ne peuvent, politiquement, afficher leur soutien au gouvernement. Le budget est tout d’abord examiné en commission des finances, aujourd’hui présidée par Éric Coquerel (LFI). 3.500 amendements ont été déposés, la discussion commençait lundi 10 octobre à l’Assemblée nationale.
Dans la configuration actuelle de l’Assemblée, le gouvernement aurait simplement besoin que le groupe LR s’abstienne, et donc ne vote pas contre ce budget. Or, réunis à Angers début septembre lors de l’université d’été des jeunes LR, plusieurs membres de ce parti ont affirmé qu'ils ne voteraient pas ce budget, malgré de nombreux et insistants appels du pied de plusieurs ministres, dont bien sûr ceux qui viennent… des LR. Ainsi, Bruno Retailleau, sénateur LR, a-t-il pu dire : « Demain, est-ce qu’on va voter le budget ? Bien sûr que non, on est dans l’opposition », tandis qu’Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, renchérissait : « Que cette majorité se débrouille, nous ne serons pas sa béquille. » Il faut dire que tous deux sont candidats à la présidence des Républicains et qu’il est, dans cette perspective, bien plus stratégique de se positionner à cet instant dans l’opposition ferme plutôt qu’à l’extrême centre, sans cesse élargi par l’apport d’anciens LR.
Dès lors, le pouvoir a laissé entendre à plusieurs reprises qu’il userait de l’arme constitutionnelle du 49-3 pour interrompre les débats et faire adopter le budget sans vote. Depuis une réforme constitutionnelle de 2008, le 49-3 ne peut être utilisé qu’une fois par session parlementaire, hors loi de finances. Et « si le Premier ministre décide d’y recourir, sa décision entraîne la suspension immédiate de la discussion du projet de loi. Le texte est considéré comme adopté, sans être soumis au vote, sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures qui suivent. »
Motion de censure qui sera aussitôt déposée par le RN et LFI, mais que ne votera pas le groupe LR : Emmanuel Macron n’a-t-il pas menacé de dissoudre l’Assemblée si la motion de censure était adoptée ? De nouvelles élections risqueraient de voir arriver une nouvelle assemblée avec un groupe LR encore plus rabougri, au profit, sans doute, du RN. Cette motion de censure a donc peu de chances d’aboutir, et le budget sera de toute façon adopté. Mais est-ce si confortable pour la majorité présidentielle ? Pas tant que cela.
Dès lundi après-midi, la Macronie a tenté de faire appel au sens des responsabilités, en prenant bien soin de distinguer les agitateurs (LFI), les "irresponsables" (RN) et les « responsables » (LR). Ainsi Bruno Le Maire a-t-il dit qu’il comprenait « que les groupes indifférents à la dette ne votent pas ce PLF. Je suis plus surpris des députés attachés à la réduction des déficits qui refusent de la voter. Je les appelle à rester fidèles à leurs convictions, plutôt que de faire bloc avec la NUPES et le RN. » Gabriel Attal invoque, de son côté, la responsabilité devant les Français pour orienter le débat parlementaire : « notre responsabilité collective, c’est de trouver des compromis et de refuser les blocages. C’est de ne pas donner le spectacle de l’enlisement, au moment où les Français ont tant besoin que nous soyons à la hauteur. »
Aurore Bergé, présidente du groupe parlementaire Renaissance, a prévenu dès le 9 octobre, lors d’un entretien sur BFM TV, que « notre responsabilité sera d'engager suffisamment tôt le 49-3 si les oppositions bloquent matin, midi et soir le débat ».
Tous ne font qu’appuyer ce qu’Élisabeth Borne, dès la fin du mois d’août, avait déclaré : « Je suis aussi consciente que, pour un groupe d'opposition, c'est symbolique de voter un budget. Mais le cas échéant, il y a des outils dans la Constitution pour pouvoir avancer. »
Une opposition tolérée, certes, mais pas trop. Un peu de débat pour donner une teinte démocratique à la vie d’un pays, oui, mais pas trop longtemps. La question de ce vote du budget n’est donc pas son examen point par point, mais quand il sera stratégique pour le gouvernement de dégainer le 49-3. Car l’histoire de la Ve république nous apprend que, souvent, le passage parlementaire « en force » a son effet boomerang : la contestation sociale. La rue. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’elle soit explosive.