Élisabeth Borne, en présentant le 10 janvier dernier les buts de sa réforme, a déclaré qu’il s’agit de « préserver notre système par répartition », qui est « un choix politique essentiel », « l’un des fondements de notre modèle social » et même, a ajouté le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, « un symbole de la nation ». Pas moins.
À bien y regarder, pourtant, le dogme de la répartition tolère quelques hérésies. Car – horresco referens – il existe dans notre beau pays quelques régimes de retraite amoraux, qui fonctionnent par capitalisation. C’est le cas, notamment, de deux régimes complémentaire et surcomplémentaire de retraite des fonctionnaires, destinés à compenser l’absence de prise en compte de certaines primes dans le calcul de la pension : il s’agit de la Préfon, produit de retraite par capitalisation défiscalisé, créé en 1964, et du régime additionnel de la fonction publique (RAFP), mis en place le 1er janvier 2005, consécutivement à la réforme des régimes des fonctionnaires en 2003.
Lorsqu’il s’agit des retraites de ses agents, l’État sait donc oublier les beautés de la répartition, fondement-de-notre-modèle-social-et-symbole-de-la-nation, et se convertir aux vertus de la capitalisation, aussi peu républicaines soient-elles…
Il n’est pas le seul. Les élus de la République en font autant, en tout cas une partie d’entre eux : le régime de retraite des sénateurs fonctionne par « répartition provisionnée » (ainsi, d’ailleurs, que celui du personnel du Sénat) ; ce qui signifie, en clair, que son financement est assuré en partie par les cotisations reçues et en (grosse) partie par capitalisation. Et – ô stupeur ! – ça marche !
S’il fonctionnait seulement en répartition, le régime des anciens sénateurs serait déficitaire, puisqu’il engrange 12,4 millions d’euros de cotisations et sert 38,10 millions d’euros de prestations. Mais, comme le disait le président de la chambre haute, Gérard Larcher, le 8 février sur France Inter, « c’est un régime qui s’équilibre en lui-même entre la cotisation des sénateurs, la cotisation de l’employeur – qui est le Sénat – et le fruit de la part des réserves qui ont été accumulées pendant 117 années ». Il dispose ainsi de 859 millions d’euros d’actifs « venant en couverture des engagements de retraite », selon les comptes de l’exercice 2021 du Sénat.
Sa gestion est donc saine, contrairement à celle du régime de l’Assemblée nationale, qui est très déficitaire comme le rappelle aussi Gérard Larcher, pas sympa pour les copains : « Nous avons en fait sur la dotation de l’État un apport d’un peu plus de 7 millions par an, quand les députés, c’est 65 millions par an. » Décidément, y a bon la « capi » !
Moyennant quoi, le site Public Sénat indique qu’en 2019, la « caisse autonome » du Sénat permettait de financer une pension d’environ 2.190 euros nets par mois pour un mandat de six ans effectué. En regard, le montant moyen de la pension (CNAV et Agirc-Arrco) des salariés du privé s’élève à 1.119 euros pour une carrière complète. Selon l’association Sauvegarde Retraites, qui a publié une étude sur la retraite des sénateurs en janvier 2017, la caisse assurerait aux heureux élus qui y sont affiliés un rendement hors normes, avec près de 6 euros de cotisations pour 1 euro cotisé, contre 1 euro à 1,5 euro pour les régimes de droit commun.
Sauvegarde Retraite révélait aussi que, dans la foulée de la réforme Woerth de 2010, les sénateurs se sont créé de surcroît, depuis le 1er octobre 2011, un régime complémentaire par points pour compenser l’abandon du système de double cotisation qui leur permettait d’acquérir une pension à taux plein après seulement 22,5 années de mandat. « En somme, les sénateurs n’ont plus un régime spécial, mais deux », commentait l’association, en précisant que l’existence de cette retraite complémentaire par points est mentionnée dans le règlement de la caisse des retraites du Sénat, mais que son contenu, en revanche, restait tout à fait opaque : « L’arrêté de questure n° 2010-1329 du 15 décembre 2010, qui en contient le secret, n’est pas public. »
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Éric Letty