Suite au colloque de la Fondation Kairos sur les métiers manuels évoqué ici, Gabrielle Cluzel écrit sur Boulevard Voltaire :
[…] De tables rondes en conférences, devant 200 participants, 30 intervenants se sont succédé, animés de la même passion pour les métiers manuels. La façon dont ils se sont appropriés ces métiers sont diverses : certains sont professionnels, d’autres amateurs, les uns ont pris des chemins de traverse, autodidactes ou formés sur le tard. Les autres, dotés d’une formation académique, ont plongé très jeunes, via les compagnons du devoir, par exemple.
Il est insolite d’entendre, en introduction, la philosophe Chantal Delsol faire l’éloge du travail manuel, en l’occurrence de la couture à laquelle l’ont initiée jadis ses mère et tantes : ces travaux de confection, raconte-t-elle avec une grande simplicité, lui ont procuré beaucoup de joies. Il est touchant d’écouter, en conclusion, l’énarque Anne Coffinier dire toute son admiration pour sa fille, apprentie pâtissière, qui se lève tous les matins à 4 heures. Envoyer un enfant dans l’artisanat avant le bac est « ultimement transgressif », note-t-elle avec humour. Comment lui donner tort ? La Suisse, qui aiguille deux tiers de chaque classe d’âge dans des filières manuelles sans rien hypothéquer de leur réussite future ni entacher leur réputation, n’a pas du tout le même regard, explique Roberto Balzaretti, ambassadeur de Suisse en France.
En creux, dans ce colloque, il y a implicitement le sujet du collège unique, qui garde captive une population douée d’une intelligence de la main et la fait mourir d’ennui sur les bancs de l’école. Il y a aussi la question du sens du travail dans un pays désindustrialisé, mais aussi « désartisanatisé », tout porté sur le tertiaire et qui ne sait créer que pléthore de commerciaux et de sociologues en lieu et place d’indispensables ingénieurs et travailleurs manuels. Notre époque aime l’artiste contemporain, qui crée sui generis, mais beaucoup moins l’artisan, inscrit dans la transmission, l’héritage reçu des pères, l’insertion, avec une humble fierté – ce n’est pas un oxymore – dans une chaîne de savoir-faire, de répétition, toutes choses honnies aujourd’hui.
Osons une hypothèse : les Black Blocs et autres antifas qui occupent les bâtiments de leurs universités revendiqueraient-ils le droit à la paresse et à celui de prendre leur retraite au berceau, rechercheraient-ils une fraternité dans l’action destructrice, si on les avait envoyés dans une filière manuelle fondée sur le collectif et ancrée dans la réalité, autrement plus exigeante que les cursus de sciences molles spéculatives dans lesquels ils ont échoué sans sélection, qui les laisse aussi désœuvrés qu’insatisfaits ?
Un dernier symbole ? Pendant que des étudiants grimés en Black Blocs – à moins que ce ne soit le contraire – brûlent, brisent, cassent, taguent, bloquent, de jeunes artisans, dans l’indifférence médiatique, œuvrent méticuleusement à ce « prodige du gigantesque et du délicat » qu’est la reconstruction à l’identique de Notre-Dame. Avec un peu de chance, peut-être parlera-t-on enfin d’eux quelques minutes, le 15 avril, jour anniversaire de l’incendie ?