Alors que le projet de loi sur l’immigration ne sera pas débattu dans l’immédiat, le sujet reste pleinement d’actualité et un état des lieux de l’opinion en la matière s’impose. S’appuyant sur les résultats d’une enquête approfondie, Adélaïde Zulfikarpasic, directrice générale de BVA France, analyse le ressenti des Français sur cette problématique hautement inflammable et qui interroge la permanence du clivage droite-gauche.
Le projet de loi sur l’immigration, présenté en Conseil des ministres début février, devait être examiné au Parlement à compter de la fin mars. Compte tenu du contexte, tant social que politique, lié notamment à la réforme des retraites, le sujet a été jugé trop sensible pour être débattu dans l’immédiat. Le président de la République a ainsi annoncé le 22 mars dernier qu’il allait finalement être ajourné et découpé en plusieurs textes. Pour autant – et en dépit de ce qui peut être perçu comme une manœuvre pour éviter des débats de fond sur un sujet hautement inflammable –, le sujet reste pleinement d’actualité. Forts du succès de la convention citoyenne sur la fin de vie, certains membres de la majorité plaident d’ailleurs pour qu’on renouvelle l’exercice sur le sujet de l’immigration. Dans ce contexte, il nous a semblé pertinent de dresser un état des opinions sur le sujet. Au-delà de la mesure de l’adhésion ou non aux dispositions initialement prévues par le projet de loi, il s’agit de questionner le rapport des Français à l’immigration et son évolution au cours des dernières années, pour mieux comprendre le contexte dans lequel vont s’ouvrir les débats. En effet, si le sujet s’est invité furtivement au début de la dernière campagne présidentielle, notamment en fin d’année 2022, il a ensuite été éclipsé par d’autres thématiques (pouvoir d’achat, crise énergétique). Il nous semble donc intéressant de « prendre le pouls de l’opinion » en profondeur sur cette thématique majeure. Cette note s’appuie sur les résultats d’une étude réalisée par BVA auprès d’un échantillon de 1 001 Français âgés de 18 ans et plus (représentativité assurée par la méthode des quotas), par Internet, du 31 janvier au 1er février 2023.
L’immigration, l’éléphant au milieu de la pièce
Un sujet qui suscite des réactions spontanées très négatives, vives et parfois même violentes
Au-delà des discours construits ou empreints d’idéologie, il est intéressant, pour tout sujet, de voir quelles sont les réactions qu’il suscite spontanément, avant même d’introduire des éléments permettant de structurer la réflexion de chacun.
À cet égard, l’analyse des réponses à la question ouverte « Spontanément, quand on vous parle d’immigration en France, quelles sont toutes les choses qui vous viennent à l’esprit ? » est édifiante et surtout sans appel. Une écrasante majorité des verbatims analysés – plus de 8 sur 10 – sont d’une tonalité négative, voire très négative. Les réactions positives (7% des citations seulement) tout comme celles, plus neutres, qui relèvent de constats souvent liés à l’actualité se font beaucoup plus rares (8% des citations).
Il est vrai que beaucoup d’interviewés ne se sont pas prononcés ou ont répondu que le sujet ne suscitait chez eux aucune évocation particulière. Il faut le souligner. Mais rares sont néanmoins ceux qui se sont emparés du sujet pour défendre l’immigration, alors que les réfractaires se sont exprimés massivement (85% des citations), parfois avec véhémence, souvent avec colère. C’est peut-être même cela qui frappe le plus : si un certain nombre d’études ont montré le rapport négatif de beaucoup de Français à ce sujet, le fait qu’ils l’expriment de façon spontanée en des termes si virulents interpelle.
Parmi les quelques éléments positifs (7% des verbatims au total), une idée centrale émerge : celle selon laquelle l’immigration constitue une chance pour la France et est un levier d’enrichissement culturel. Les autres éléments « positifs » – cités par une poignée d’individus seulement – concernent la nécessité d’aider les immigrés et d’accueillir les réfugiés. 8% des personnes s’étant exprimées ont d’ailleurs évoqué des éléments liés au contexte international, comme l’arrivée de migrants « qui fuient leur pays car ils ne peuvent faire autrement à cause de la guerre ». Parmi ces éléments de pur constat, quelques-uns évoquent les difficultés et discriminations auxquelles font face les immigrés. D’autres – toujours peu nombreux – considèrent l’immigration comme une solution pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs.
Les résultats de la question fermée sur les thématiques auxquelles les Français associent le plus l’immigration confirment, dans les grandes lignes, l’analyse des perceptions spontanées. Tous les sujets relatifs à l’actualité, comme les migrations liées à des contraintes climatiques (13% des citations totales), les réfugiés ukrainiens (13% également) ou encore les débats autour des ONG et des associations venant en aide aux migrants, notamment en mer Méditerranée (9%), arrivent en queue de peloton.
Des réactions autour de l’immigration entre fantasmes et peurs
Quatre grands registres structurent les citations négatives (85% des verbatims, donc) autour du sujet :
- l’idée, exprimée de façon claire et sans ambages, selon laquelle il y a tout simplement « trop d’immigrés » en France ;
- l’idée, plus nuancée, selon laquelle la France n’a pas les moyens d’accueillir des immigrés ;
- le sentiment que l’immigration est la source de nombreux maux (violence, insécurité…) ;
- enfin, le sentiment que les immigrés jouissent de (trop) nombreux droits.
En complément de ces quatre registres, on note également, évoquées par certains, la possibilité d’une « immigration choisie » ou l’ouverture à une immigration limitée dès lors que les immigrés s’intègrent et travaillent.
Arrêtons-nous un instant sur ces différents registres. Le premier n’appelle pas vraiment de commentaire ni de précisions. Il traduit un sentiment assez net et radical évoqué spontanément par un quart environ des personnes qui se sont exprimées sur ce sujet. Ces personnes ont souvent le sentiment que « notre pays est une passoire ». « Il y a trop d’immigration, tout est dit », nous répond cet interviewé.
Le deuxième registre (autour de l’idée selon laquelle la France n’a pas les moyens d’accueillir des immigrés) est plus nuancé et se veut fondé sur une analyse de la situation et la prise en compte de différents facteurs, notamment de nature économique :
Verbatims de Français
> Il faut contrôler l’immigration par tous les moyens, nous n’avons plus les moyens d’accueillir toute la misère du monde.
> Nous n’avons pas la capacité et les moyens de subvenir aux besoins de personnes supplémentaires arrivant sur le territoire français.
Certains vont jusqu’à « modéliser » les effets de l’immigration sur la dépense publique « qui se trouve exacerbée » et entraîne selon eux une hausse de la fiscalité pour les Français. D’autres le disent plus simplement : les immigrés coûtent cher à la France.
Le troisième registre – très présent puisqu’il représente plus du quart des citations spontanées – puise souvent davantage dans l’a priori ou le sentiment que dans le vécu. Il est pourtant l’un des moteurs les plus puissants du rejet de l’immigration, voire, dans certains cas, du racisme. C’est l’association étroite – pour ne pas dire l’amalgame – qui est faite par de nombreux Français entre l’immigration et divers maux auxquels notre société serait confrontée, en particulier l’insécurité, la délinquance et le terrorisme.
Verbatims de Français
> Insécurité, trop de violence, viol, crime : injustice !
> Délinquance, insécurité, augmentation des meurtres et communautarisme.
> Les racines de la France se perdent avec l’islamisation de masse et l’insécurité augmente de plus en plus car les immigrés savent qu’ils ne seront pas renvoyés dans leur pays d’origine et ne seront pas punis.
On retrouve ce registre dans les résultats de la question fermée sur les thématiques auxquelles les Français associent le plus l’immigration. En effet, les deux grandes thématiques qui émergent – parmi une liste de douze – et dominent toutes les autres sont l’insécurité et la violence (42% des citations) ainsi que l’islamisme (32%), juste devant l’intégration économique, sociale et culturelle des immigrés dans notre société (28%).