Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue chargée de recherche au CNRS, expose les résultats de son enquête, minutieuse et appuyée sur une documentation abondante, sur « le frérisme et ses réseaux ». Elle montre comment les Frères musulmans, mouvement sunnite, créé en 1928 par l’égyptien Hassan el-Banna, quatre ans après le traumatisme provoqué par la fin du califat ottoman, ont mis patiemment en œuvre leur projet d’instauration d’une société islamique mondiale et, particulièrement, comment, par leurs réseaux et leurs alliances, ils ont développé en Europe depuis la fin des années 70 une influence croissante.
Ce projet d’islamisation de la totalité de la vie des individus et des sociétés repose, estime l’auteur, sur une vision, une identité et un plan. Cette vision est l’imaginaire de l’histoire glorieuse de l’islam, histoire qu’il s’agit de revivre non par un retour en arrière, mais sous une forme moderne, cela en puisant à la source originelle, le Coran et la Sunna (hadiths du prophète). L’islam ne doit pas changer pour s’adapter à la modernité, mais, à l’inverse, adapter la modernité à la loi islamique. L’identité est pensée sans altérité dans une conception totalitaire où l’islam englobe et régit tous les domaines de la vie humaine. Il ne peut y avoir altérité puisque tout humain a vocation à devenir musulman, l’infidèle doit être soumis, ou éliminé comme l’apostat. Pour les Frères musulmans, l’islam n’est pas une religion limitée à des croyances et des rites, mais un mode de vie englobant la totalité de l’existence. Le plan d’accomplissement de ce projet exige de la patience et de la ruse. Il faut savoir simuler et dissimuler, paraître modéré, tolérant, éviter la confrontation. Ce machiavélisme conduit, sans condamner la violence pour elle-même, à privilégier le combat idéologique dans les circonstances d’un accroissement rapide de la population musulmane en Europe.
Tout en s’attachant à immuniser les musulmans contre les influences européennes en usant de la rhétorique de la diversité culturelle et du droit à la différence, les Frères subvertissent les institutions démocratiques, usent, en les retournant contre elles, des armes que leur donnent les droits et libertés des sociétés européennes tout en s’alliant avec toutes les forces destructrices des fondements de ces mêmes sociétés. Le combat pour le hijab est un bon exemple de cette perversion puisqu’une entreprise d’islamisation de la société devient un combat féministe pour la liberté et contre les discriminations. Un autre exemple en est l’accusation d’islamophobie visant, par le jeu de la victimisation et de l’indignation, à culpabiliser et délégitimer toute critique de l’islam puisqu’elle serait censée porter atteinte à la sensibilité des croyants et à leur liberté de conscience et de religion. Cette rhétorique a réussi puisqu’elle est aujourd’hui celle des institutions européennes et internationales. Les Frères ont su en France trouver des alliés auprès de partis gauchistes et de forces s’affirmant décoloniales, tous ayant en commun la dénonciation d’un État colonial censé opprimer les descendants des colonisés, État structurellement oppresseur qu’il s’agit de détruire.
Dans sa conclusion, Florence Bergeaud-Blackler juge que l’internationalisme du frérisme est bien adapté à la mondialisation capitaliste qui nie toute frontière. Comme universitaire, elle appelle, pour ne plus être abusé par ses ruses et tromperies, à une connaissance et à une approche critique de ce mouvement dont l’action vise à substituer à nos représentations une vision islamique de l’histoire, du savoir et de la vie des individus et des sociétés.
Fortement documenté, l’ouvrage de Florence Bergeaud-Blackler est très instructif en même temps qu’éclairant sur ce qui menace nos peuples et notre civilisation. Le relativisme culturel, la culpabilisation, l’humanitarisme compassionnel, tout cela a fragilisé nos populations face à un islam conquérant et sûr de lui. Bien qu’elle n’en tire pas elle-même cette conclusion, les constats et analyses de Florence Bergeaud-Blackler confirment que la sauvegarde de notre civilisation ne pourra se faire au nom de l’universalisme et des droits de l’homme puisque ce sont précisément cet universalisme et ces droits que nos adversaires utilisent adroitement comme armes pour nous remplacer.
Yvan Droumaguet
Florence Bergeaud-Blackler, Le frérisme et ses réseaux, l’enquête, Paris, Odile Jacob, 2023, 399 p.
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