Le bloc-notes de Jean-Claude Rolinat
Ils étaient venus, ils étaient tous là, bien alignés ou presque sur le tarmac de l’aéroport Ben Gourion, dans la banlieue de Tel-Aviv, dès qu’ils surent que le chef de l’État français s’était posé ce lundi soir 23 octobre. Personnel de l’ambassade bien sûr, membres du protocole, ils allaient voir ce qu’ils allaient voir, « Zéro était arrivé-é-é », notre sauveur planétaire avait débarque de son A-330 présidentiel, tel captain América. Il venait la tête pleine de bonnes idées, comme d’habitude adepte du « en même temps ». Notre diplomate number one, notre Talleyrand de banlieue, notre Metternich de comptoir, venait d’atterrir dans cet « Orient compliqué » comme le décrivait autrefois, déjà, un autre Machiavel, mais de plus haute volée celui-ci, Charles De Gaulle.
Emmanuel Macron arrivait avec un plan bien ficelé, d’une simplicité biblique – le terme convient à la région ! – élargir le champ d’action de la coalition internationale montée pour lutter contre Daech, à une action contre le Hamas. « En voilà une idée qu’elle est bonne », pleine de bons sentiments, de quoi satisfaire Israël et nos alliés, se disait notre homme. Partout où notre sémillant président est passé, il a reçu un accueil poli, mais aucun soutien à ce plan bien vite remisé au magasin des accessoires obsolètes ou trop « avangardiste » !
La tournée orientale du Chef de l’Etat a été ramenée à une suite de conversations égrenant des banalités connues depuis longtemps, hélas jamais mises en œuvre en raison de la mauvaise foi bien répartie de tous les protagonistes. L’idée généreuse d’une Palestine à deux Etats a fait long feu. C’est pourtant, objectivement, la seule qui pourrait nous sortir tous du bourbier car, que nous le voulions ou non, par l’importance des populations concernées sur notre sol, nous sommes impactés, nous Européens, et plus particulièrement les Français, par ce conflit séculaire.
Verrons-nous un jour la fin de cette lutte de deux peuples pour une même terre ?
Ce n’est pas nouveau, Arabes et Juifs de Terre sainte se détestent. Cela remonte bien avant le plan de partage de la Palestine de 1947, jamais réalisé par le regrettable refus, il faut le reconnaître, de la partie arabe. Dès que l’idée du sioniste Théodore Herzl du retour « sur la terre promise du peuple élu » fut mise en œuvre par l’achat de terres en Palestine occupée par les Ottomans, des résistances se firent sentir, ici et là. Des Juifs qui espéraient échapper aux pogroms en Europe de l’est, durent apprendre à se défendre et à mettre sur pied des milices pour protéger – déjà ! – leurs kibboutz.
L’hostilité ne fit que s’amplifier au fur et à mesure de l’augmentation du peuplement du Foyer national juif consacré par la déclaration Balfour de 1917, la région ayant changé, entretemps, de protecteur, passant de la suzeraineté de la Sublime porte à celle de Sa majesté britannique.
Depuis la guerre d’indépendance d’Israël de 1948, en passant par les conflits de 1956, la « Guerre des six jours » de 1967, celle du Kippour à l’automne 1973, l’invasion du Liban en 1982 et 2006, la paix n’a vraiment jamais régné dans ce coin semble-t-il maudit, de la planète. Il y eut bien l’extraordinaire rencontre à Jérusalem de Sadate et Begin, enterrant la hache de guerre entre l’Egypte et l’Etat Hébreu, puis l’ouverture de relations diplomatiques entre Israël et Amman, et le spectaculaire accord entre Rabin et Arafat en 1993. (Le premier payant de sa vie, comme Sadate, ses gestes de paix, assassiné par un Juif religieux.) Jamais, vraiment, les protagonistes ne purent cohabiter sereinement. On voit bien que l’évacuation de la bande de Gaza en 2005, décidée par Ariel Sharon - victorieux général de la guerre de 1973 - n’a rien réglé. Les heurts sont constants en Cisjordanie entre colons et Palestiniens, le Hezbollah harcèle la Galilée depuis le Sud-Liban, transformé en « Charialand » (1), et le Hamas vient de prouver au monde entier de quelles horreurs il était capable. Alors, Tsahal va cogner, dur, sans doute au prix de pertes sévères. Il est à craindre que les pauvres otages passent par « pertes et profits ».
Et vint notre prestidigitateur national…
Et c’est dans ce bourbier qu’Emmanuel Macron, avec ses petits bras, pensait, tel un Gérard Majax ou un Éric Antoine, sortir un lapin magique de son chapeau. Que nenni mes amis car, entre nous, que représente-t-il ? Une grande puissance ? Une puissance moyenne ? Même pas, hélas pour notre amour-propre national ! Il est le chef d’une puissance rétrécie, un pays menacé de décadence, en proie à des doutes sur son existence même à moyen terme, une existence millénaire menacée par une subversion migratoire colossale, de plus un Etat rongé par une dette abyssale. De quel poids, alors, peut peser la France dans cet énorme et historique imbroglio ? Nous allons envoyer un porte-hélicoptères transformé en navire–hôpital, Le Tonnerre, pour venir au secours des Gazaouis victimes des bombardements et des combats terrestres à venir. Très bien.
Et après cela ? Poliment, Mahmoud Abbas a écouté les sages paroles de notre président. Abbas, un chef de l’Autorité palestinienne discrédité, qui n’a pas plus de pouvoirs que notre Maréchal Philippe Pétain n’en avait à Vichy sous la botte allemande, après le 11 novembre 1942. Le roi Abdallah de Jordanie, pays où nous avons un détachement aérien dans le cadre de la coalition alliée anti-Daech, n’a même pas joué la comédie d’une conférence de presse commune, ce qu’à, pour sa part, accepté le lendemain, le président égyptien Sissi.
Bilan des courses ? Néant, ou presque. De belles paroles pour réaffirmer sur place nos traditionnelles positions, à savoir l’amitié avec Israël qui doit vivre en paix et en sécurité, et un plaidoyer pour la « solution à deux Etats » en Palestine. Notre Emmanuel national est reparti dans son bel avion tricolore, et son voyage s’est achevé comme il avait commencé, dans une indifférence très polie, de courtois échanges diplomatiques sans réels conséquences dans l’immédiat. Peut-être à long terme ? « Ainsi font, font, font, les petites marionnettes, trois petits tours et puis s’en vont »…
(1) L'auteur de ces lignes, pour y être allé en 2006, peut en parler en connaissance de cause.