Tout part d'un remarquable article de Johanna Luyssen dans Libération, sur la personnalité longtemps occultée d'Hélène Rytmann (HR), assassinée par son époux le philosophe Louis Althusser, dans leur appartement de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm.
Depuis toujours, le récit philosophico-politique qui a été donné de l'histoire de cette strangulation s'est focalisé exclusivement sur l'auteur, occultant la victime. Alors que les circonstances de l'acte (HR voulant le quitter) et les événements l'ayant précédé, avec notamment la très forte tension régnant entre ces deux personnalités et la domination du mari sur l'épouse, permettent aujourd'hui de le placer sous la bannière "féminicide".
L'admiration de l'environnement de la rue d'Ulm, des proches, des amis, pour le génie philosophique et l'aura intellectuelle de LA, a engendré l'occultation de son épouse, alors qu'il s'agissait d'un être de très grande qualité. HR a été tuée dans des conditions qui font s'interroger sur la mythologie développée autour de son époux.
Cette injustice qui durablement a effacé la victime est d'autant plus choquante qu'on pouvait percevoir comme un désastre annoncé. L'état psychique de de son mari, hospitalisé à de nombreuses reprises, sa jalousie, sa violence, inspiraient de la peur à HR. Elle sentait la montée implacable du crime, et de fait, rejoignant terrorisée son époux au retour d'un voyage de travail dans le sud de la France, elle a été assassinée le soir même...
Cette tragédie, dont une part fondamentale a été délibérément négligée, serait déjà suffisante pour susciter une réflexion sur le "deux poids deux mesures" après certains crimes. Sur l'excès de considération donné à tel ou tel meurtrier ou assassin et l'effacement indécent de la victime de l'un ou de l'autre.
Au-delà de LA, j'ai souvent été frappé par la tolérance parfois amusée (dans les milieux élitistes, habitués à la lumière publique et assez généralement créateurs d'influence) avec laquelle on accueillait toutes sortes de débordements délictuels ou criminels dès lors qu'y avaient participé des personnes qui d'une manière ou d'une autre étaient artistiquement, médiatiquement célébrées.
Par exemple la connivence honteuse, si longtemps, avec Gabriel Matzneff sur les plans moral, littéraire et médiatique.
Le cas de Gérard Depardieu est exemplaire sur ce plan. Les mêmes qui ne se soucient pas des détresses ordinaires et des injustices au quotidien ressassent la présomption d'innocence, qu'il convient de respecter certes mais en n'oubliant pas que face à elle, il y a des plaignantes. On préfère, dans ces univers, militer pour un grand acteur attaqué de partout que donner du crédit à celles qui le mettent en cause. C'est moins banal, moins commun !
Quand un arbitrage est à opérer et que dans la plupart des consciences le parfait équilibre est difficile, je m'étonnerai toujours de ce que l'empathie, le doute, le réalisme et la morale fassent pencher une certaine frange de l'opinion systématiquement pour le soupçonné plutôt que vers ceux qui déplorent et dénoncent. Le président de la République n'a pas été le dernier à glisser, à plusieurs reprises, sur cette pente éloignée de toute équité.
Et je n'ai même pas besoin d'évoquer la vulgarité de ces médiatisations qui viennent, par une sorte de racolage ou d'indécence, amplifier le narcissisme d'anciens condamnés ou de criminels incarcérés. Sans le moindre souci du pire que ces destins malfaisants ont laissé sur leur chemin, et d'abord la mort ou le désespoir de leurs victimes.
J'entends bien qu'il y a un incoercible snobisme poussant à l'indifférence à l'égard des mille sinistrés de la Justice, de ceux qui l'attendent, de ceux qui l'obtiennent, mais parfois jamais totalement, jamais assez vite, de ceux qu'on déchire, qu'on offense à nouveau parce que leurs transgresseurs sont subtilement ou ostensiblement portés aux nues.
Le crime de LA sur HR ne sert pas à rien. Et la macabre plaisanterie "Althusser fort" n'empêchera personne de stigmatiser ce brouillard hémiplégique qui vient trop souvent masquer le visage et la mémoire des victimes pour projeter en pleine lumière l'aura sombre et insupportable de certains coupables.
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